SOCIÉTÉ - actualisé le 7/4 - «Vous ne confondez pas avec la burqa ?» Mariem, 27 ans, fichu blanc noué en chignon, vient de déposer sa fille dans une école maternelle du quartier populaire de Moulins, à Lille. Elle n’a pas entendu parler de la circulaire du ministre de l’Education, Luc Chatel, visant à interdire le port du foulard aux mères accompagnant les sorties scolaires, une proposition reprise par l’UMP. Mariem participe à ces sorties, et elle trouve que les maîtresses «ne font pas la différence» entre les mères voilées et les autres. Elle est heureuse de «rendre service» et ne comprend pas pourquoi on lui refuserait .
«On n’est pas salarié de l’école.» Sa fille ? «Elle est contente quand je viens, toute fière de dire "c’est ma maman".» Mariem réfléchit : «Déjà que la burqa, ça a secoué tout le monde, là, je pense que ça va être la colère.» Elle imagine que certaines mères pourraient se braquer, refuser de participer à la «collation» du matin, des fruits ou du fromage apportés à tour de rôle.
«Fragile». A la sortie d’une autre école, toujours à Moulins. Les têtes couvertes sont nombreuses. Majhouba, 34 ans et enceinte de son troisième : «Ça va être un souci, parce qu’on est majoritaire. Et il n’y a jamais beaucoup de parents qui se proposent.» L’enlever ? «Ce serait comme si j’étais toute nue», dit Nora, 27 ans, mère de quatre enfants. Elle aussi trouve que les maîtresses ne font «aucune différence». Zouhra, 35 ans, deux enfants : «Ils feraient mieux de regarder les autres problèmes, comme le nucléaire, ou la misère des pauvres. La vérité, c’est que l’islam leur fait peur.»
A Fives, autre quartier populaire de Lille, Farida, 38 ans et mère de sept enfants, porte le jilbeb, couverte des pieds à la tête, visage excepté. «Si on rejette sa mère, l’enfant va se sentir lésé, il ne grandira pas normalement.» A côté d’elle, son amie, en jilbeb aussi : «On ne peut pas faire ça à un enfant. Un enfant, c’est fragile. Il va ressentir le rejet, il sera moins joyeux. Je ne comprends pas qu’on puisse agir ainsi face à des enfants.» Farida a une fille en troisième, qui porte le foulard, elle étudie par correspondance, depuis la sixième. Une autre qui va au collège, en cinquième. «Qu’est-ce qu’il veut le ministre ? Qu’on mette tous nos enfants au Cned [formation par correspondance, ndlr] ? S’il commence à installer la peur entre les gens, tout le monde va se méfier de l’autre, et on va voir le taux de croissance du FN !»
«Atterrée». Et les directeurs d’établissement ? Ceux qui ont accepté de répondre désapprouvent. Dans une école d'un quartier populaire de Lille, une directrice annonce qu'elle souhaite «la participation la plus grande des mamans» dans les activités de l'école et qu'il n'est donc «pas question de refuser» les mères qui portent le foulard, qu'elle estime à plus de 60% dans son école. Une directrice d’école de Fives pense aussi que «dans certaines classes, ça peut être un problème. Au Forum des sciences, j’ai besoin d’un parent pour quatre enfants». Et puis il y a le problème humain : «On va heurter les gens». Elle pense aussi qu’il y a «plus urgent, dans l’éducation aujourd’hui». A Lille, huit classes sont menacées de fermeture.
Un directeur d’école à Moulins préfère «une maman voilée qui fait attention aux enfants, et qui est utile, à une maman non voilée, qui parle mal aux enfants ou qui n’est pas fiable». Une autre directrice se dit «atterrée» :«C’est d’une violence inouïe.» Dans son école, à Fives, deux mères portent le foulard. Comme ses collègues, elle se dit «attachée aux valeurs de la laïcité», au point d’«embêter» les dames de cantine qui refusent d’enlever leur foulard, et «l’institutrice qui porte une médaille de la Vierge Marie». Mais elle pense qu’il faut laisser les parents tranquilles. «Un enfant est bon élève quand il a une image positive de lui-même. Une maman reconnue, ça y contribue.» Elle pense que l’émancipation, c’est le rôle de l’école et que «ça peut passer par le fait qu’on emmène une mère voilée au musée».
Haydée Sabéran
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