ÉCO-TERRE - Ce sera demain matin, comme à l'issue de chaque marche des veuves de l'amiante à Dunkerque. Une veuve remettra au sous-préfet une lettre au président de la République, les mots d'une épouse en colère. Demain, la douzième lettre est signée Monique Robbe, de Saint-Pol-sur-mer. Extraits.
«Monsieur le président,
«Mon mari Jean a connu dès 14 ans le fond de la mine, pupille de la nation, son père étant mort à Dachau. A 26 ans, il devient docker. Il travaille au fond des bateaux dans l'enfer blanc de l'amiante pour l'entreprise Boiron.
«Permettez-moi de porter à votre connaissance le récit d'André Aschiéri dans le livre "La France toxique" : "Environ 7% des fibres d'amiantes importées en France arrivaient au port de Dunkerque. Elles étaient transportées dans des sacs de toile de jute entreposés dans les cales des bateaux avec des blocs de granit qui glissaient avec le tangage. Ces blocs écrasaient les sacs et les éventraient souvent. "Nous devions ensuite les décharger et, à mains nues, sans masque, ramasser les fibres (...) Et nous rentrions chez nous sans avoir pris de douche". Les dockers de Dunkerque avec qui je m'entretiens, au mois d'août 1998, me font ainsi le récit du mal qui ronge leurs poumons. Je n'oublierai jamais leur détresse (...)".
«Mon mari (...), comme hélas beaucoup de ses collègues ont travaillé dans cet enfer blanc. Cette invisible tueuse leur a rongé les poumons. Deux ans après l'interdiction de l'amiante en 1999, mon mari développe une maladie professionnelle, reconnue à 25%, l'abestose. Trois ans après, aggravation constatée par le pneumologue et non reconnue par la sécurité sociale. Un an après le médecin du centre anticancéreux m'annonce l'insoutenable : cancer inopérable, terrible diagnostic pour la famille, le sablier de la mort imposé par les empoisonneurs qui se sont enrichis avec l'or blanc sur son dos, sur sa sueur, est en marche.
«Le temps de la maladie ira plus vite que le temps de la justice. Il décède en 2005, à 71 ans, d'un néoplasme bronchique en rapport avec une exposition à l'amiante. Un retraite de souffrance. Un cancer inopérable lié à son travail, sans coupable ni responsable. Pour moi et mes deux enfants, Nadia et Nathalie, c'estun crime social parfait qui doit être puni.
«Dix morts par jour de l'amiante sont moins médiatiques que le virus de la grippe A. le poison de l'amiante est connu depuis un siècle (...).
«Entendez la voix des veuves et des victimes qui marchent pour la 19ème fois en ce mardi 15 décembre autour du palais de justice de Dunkerque.
«Demain avec la suppression du juge d'instruction, un procureur de la République aux ordres du pouvoir et des lobbies, vous pourrez organiser un enterrement de première classe au procès pénal de l'amiante. Ni coupable, ni responsable, deviendrait à jamais la loi des empoisonneurs.
«Oui au procès pénal de l'amiante comme à Turin.
«Non à la suppression du juge d'instruction.
«Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, l'expression de notre considération distinguée».
Monique Robbe