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Le massacre du 17 octobre 1961, «très vite gommé»


MÉMOIRE - Ça s'est passé il y a 48 ans. Environ deux cents Algériens massacrés à Paris, leurs corps jetés dans la Seine. Ils manifestaient, pacifiques et endimanchés, contre le couvre feu qui leur était imposé, en pleine guerre d'Algérie. Le préfet de police de Paris d'alors s'appelait Maurice Papon. Longtemps occultée, la mémoire s'est réveillée peu à peu dans les années 80 (1). Gérard Minet, président de la Ligue des Droits de l'Homme, à Lille, explique.

Vous vous souvenez du 17 octobre 1961?
Je m'en souviens, mais l'événement a été très vite gommé, y compris dans les milieux de gauche. Je faisais partie d'un petit groupe, à l'école normale, depuis 58, engagés contre la torture en Algérie. On avait ronéoté La question,  d'Henri Alleg, on le diffusait, avec Témoignage chrétien et France observateur, l'ancêtre du Nouvel observateur, qui tentaient d'informer sur ce qui se passait en Algérie. Le 17 octobre 1961, j'étais instituteur, c'était ma première année. On a su qu'il y avait eu des morts, beaucoup. Les autorités évoquaient deux morts. On savait qu'il y avait eu des hommes jetés à l'eau, des cadavres qui flottaient dans la Seine.

Pourquoi ça a été gommé?
D'abord à cause de la censure de l'époque, aussi parce que l'événement a été phagocyté par Charonne, quatre mois plus tard, la mort de neuf personnes qui manifestaient pour la paix en Algérie. Ils ont été tués sur les marches du métro dont les grilles avaient été fermées, par une police fanatisée, elle avait balancé sur eux les grilles en fonte arrachées aux arbres de la rue. Tout l'appareil du Parti communiste avait mis l'accent sur cette affaire, la mémoire s'est focalisée sur Charonne. D'ailleurs, à Lille, en 1990, quand la Ligue des droits de l'homme a sorti un tract sur cette affaire du 17 octobre, on confondait encore avec Charonne.

Et parce que l'opinion n'a pas mis sur le même plan la mort des ouvriers algériens du 17 octobre d'un côté, et celle des étudiants français de Charonne de l'autre?
Les réseaux algériens n'avaient pas de moyens d'expression. Et bizarrement, en dehors de Témoignage chrétien et France Observateur, ça a été le silence. Le Parti communiste, lui, a toujours été très prudent sur l'Algérie. Il a eu des grands noms, comme Henri Alleg, et en même temps c'était un grand parti ouvrier et la classe ouvrière était marquée par un certain nationalisme. En France, la mobilisation contre la guerre d'Algérie a vraiment commencé quand les fils d'ouvriers, appelés, ont commencé à être envoyés là-bas, et à revenir traumatisés ou blessés. Je me souviens du frère d'un copain qui avait perdu une main et un œil. Il y a eu une mobilisation sur une situation intenable pour les Français plutôt qu'une solidarité avec le peuple Algérien, même si les deux ont existé. Par ailleurs, l'histoire officielle algérienne n'en a pas parlé non plus. Et les programmes de l'Education nationale en France ont beaucoup tardé.

Les Algériens en France et leurs enfants français en ont peu la mémoire.
Elle est extrêmement forte chez ceux qui ont vécu cette période, les Algériens qui ont aujourd'hui 70 ans. Ils en parlent peu, sauf quand on engage le dialogue. Elle est largement insuffisante. Il s'agit quand même d'une manifestation de 30.000 personnes pacifiques, qui ont bravé le couvre feu avec femmes et enfants, et qu'on peut comparer à la Saint-Barthélémy. Ça a été une vraie chasse aux Algériens. Nous avons commémoré les morts hier à Lille, mais rien n'a été fait à Roubaix, ce n'est pas normal avec une telle population algérienne dans la ville. Il faudrait travailler avec des collectifs de profs d'histoire dans les quartiers.

Recueilli par Haydée Sabéran

Photo Régis Duvignau, Reuters : Devant le Palais de justice de Bordeaux, pendant le procès de Maurice Papon, le 17 octobre 1997. Maurice Papon y était jugé pour la déportation de juifs en 1942.

A lire : La bataille de Paris, Jean-Luc Einaudi, Seuil, 1991, réédité en 2001.(1) Dans les mois et les années qui ont suivi, les travaux sur le sujet (livres, film...) sont interdits. Le 17 octobre 1980, un article dans Libération : «Il y a 19 ans : un massacre raciste à Paris»