SOCIÉTÉ - Où sont passés les exilés? Sur les 138 Afghans adultes arrêtés dans la "jungle" de Calais, au moins 95 ont été libérés. Le point avec l'abbé Jean-Pierre Boutoille, du collectif de soutien d'urgence aux réfugiés, et Damien Nantes, de la Cimade, responsable de la défense des étrangers reconduits.
Combien y-a-t-il de migrants sans abri à Calais?
Jean-Pierre Boutoille : Il y a ceux qui se déplacent, et ceux qui se cachent. Aujourd'hui à 14h, ils étaient une centaine au repas (environ 800 le mois dernier, ndlr). Les mineurs sont de retour dehors, on préfèrerait qu'ils soient scolarisés. Ça a été un coup dans l'eau cette affaire, un grand truc médiatique.
Où dorment-ils à présent?
J-P. B. : Ils se dispersent, ils ont peur des contrôles, plus sévères, ils vont à la campagne, en petits groupes de dix maximum, pour être moins repérés. Ils sont partis à Paris, en Belgique, en Norvège, il y a plusieurs semaines. Ils tournent. Dans le Calaisis, quelques bénévoles savent où les rejoindre, mais restent prudents, car ils sont filés par la police, et certains sur écoute.
Craignez-vous les charters?
J-P. B. : On ne se fait pas d'illusions, c'est ce que souhaite l'Etat. La dernière fois, on a réussi à l'empêcher parce que les gens se sont mobilisés. Est-ce qu'on le saura la prochaine fois?
Damien Nantes : C'est notre préoccupation principale. La majorité des arrêtés de reconduite à la frontière ont été signés à destination de l'Afghanistan. La situation de ce pays, on la connaît. On nous parle de zones sûres autour de Kaboul. Pourtant, il ne se passe pas un seul jour sans la démonstration qu'il n'y a pas de sécurité. L'influence des Talibans se renforce.
Les juges ont libéré la plupart des migrants.
D. N. : Quand on est dans le cadre d'opérations de rafles, ça ne s'accompagne pas du respect des droits des individus. Sur 15 personnes placées à Rennes, 7 ont été libérées après un examen prouvant qu'ils étaient mineurs. Les policiers avaient établi de nombreuses dates de naissance au 1er janvier 1991. Les juges ont libéré 95 personnes sur 138, et le chiffre pourrait encore augmenter dans les heures qui viennent. On est en train de faire le point.
Et maintenant?
D. N. : Il faut que les personnes libérées soient hébergées. De fait, l'action qui vient de se dérouler est inefficace. Les personnes sont dans la nature. Leur état sanitaire, dramatique, s'empire. Et les associations indiquent que plus on précarise, plus on renforce le pouvoir des passeurs.
J-P. B. : A la place de l'ancienne "jungle", il y a à présent du sable. Une plage des Seychelles! Les policiers tournent, tournent, et les réfugiés cherchent des squats. Le malheur, c'est que c'est dans ces endroits isolés que les passeurs font leur travail. Ils ont beau jeu d'aller voir les migrants la nuit. Les passeurs, qui, d'ailleurs, avaient quitté Calais depuis longtemps quand les policiers sont arrivés mardi, Monsieur Besson avait prévenu qu'il interviendrait. Ça pourrait être
comique si ce n'était pas si grave. Et s'il ne s'agissait pas d'être
humains dehors.
Recueilli par Haydée Sabéran
Photo Reuters