ÉDUCATION - Dans la métropole lilloise, des enseignants et surveillants pas convaincus par l'approche sécuritaire prônée par Xavier Darcos.
C’est arrivé, Christian a déjà été giflé par un élève, Corinne a déjà vu des chaises voler dans sa classe, Muriel a un collègue qui s’est fait plaquer contre un mur, Bastien a vu un collégien avoir des convulsions dans une bagarre.
Pourtant, enseignants et surveillants dans la métropole lilloise, ils sont d’accord pour trouver que la solution ne passe pas par les portiques, ni par les fouilles. Tous bricolent des solutions, parfois bénévoles. «La violence, c’est au quotidien, mais c’est pas le Bronx non plus», raconte Muriel, professeur d’anglais dans un lycée professionnel de Tourcoing. «J’ai des jeunes collègues qui se sont fait insulter parce qu’ils ont mis un zéro, et les copains du quartier qui viennent en renfort…» Elle constate de plus en plus d’intrusions. «Quand les CPE [conseillers principaux d’éducation, ndlr] et les surveillants sont deux pour faire quatre étages, ça a une efficacité limitée». Fouiller ? «Je vois pas comment c’est possible. Ou alors, il faut que tout le monde soit à l’entrée à 7 h 30 pour être en cours à 8 heures», dit Muriel.
«Dégradant». Bastien est surveillant dans un collège d’un quartier populaire de Lille : «Ils sont déjà fouillés à 15 ans pour délit de faciès. En huit ans de surveillance, je n’ai jamais trouvé un gamin avec une arme, faut arrêter.» Christian, professeur de technologie dans un lycée privé de Villeneuve-d’Ascq n’a que des élèves en grande difficulté : «Un cutter, un fer à souder, un crayon très bien taillé ça peut faire une arme.» Pour Bastien, les fouilles ou les portiques «augmenteraient la tension. Le collège, ce n’est pas la prison. Un gamin de 15 piges traité comme du bétail, ça rentre dans le lard des adultes». C’est «dégradant», ajoute Christian. Quand ils arrivent, ils sont déjà «chargés», dit Corinne, professeur d’histoire-géo en lycée professionnel à Lille : l’alcoolisme des parents, la violence dans le métro, dans le quartier, l’inceste. «Si on va au clash, il peut y avoir un couteau qui sort, basculer dans le fait divers.»
Muriel déplore «des insultes, des refus de travailler, des gens qui quittent la classe». A la cantine, des gamins qui ne mangent rien parce que les plus grands leur piquent leur plateau. Certains crachent dans leur assiette pour ne pas se la faire voler. «J’ai chopé un gars qui étranglait une fille. Il lui avait donné des coups dans le ventre, elle n’a pas voulu porter plainte, de peur des représailles. Quelques-uns se sentent au-dessus des lois.» Elle relativise : «Mais pas beaucoup de méchants purs et durs. Des branleurs et des branleuses, j’en ai, des méchants, je n’en ai pas.» Christian a été giflé, une fois. «Un gamin que je ne connaissais pas, qui avait maltraité verbalement une dame de service. Je lui ai fait une remarque et sa main est partie, elle m’a à peine touché. Je ne me suis pas senti agressé. Le gamin avait des soucis psy.»
«On jongle». Les solutions ? Dans le collège de Christian, pas de professeur principal, mais des tuteurs, par groupes de sept. On les voit deux fois par semaine, on fait le point, on vérifie les notes, on fête les anniversaires. En début d’année, les gamins choisissent leur tuteur, après un séjour dans les Flandres où on fait connaissance et où les barrières tombent. Les profs sont payés en heures de surveillance. «On jongle avec les budgets.» A la récréation, il n’y a pas assez de surveillants, alors les profs se relaient, bénévoles. Le climat est apaisé. Si c’est nécessaire, on propose à l’enfant de rencontrer un psy qui passe à l’école.
Corinne a réussi à faire entrer les psys au lycée professionnel. Des copains à elle, psychiatres et pédopsychiatres, bénévoles aussi. Les profs rencontrent les parents en début d’année, qui racontent l’histoire de leur gamin avec l’école. «Ils nous sont reconnaissants.» L’équipe se réunit avec les psychiatres six à sept fois par an. «On change notre regard d’enseignant. Si tu ne comprends pas ce que vit le gamin, ça fera pas avancer le schmilblick.» Elle tient sa classe. Il arrive que des chaises volent ou que des gamins viennent la provoquer à son bureau en début d’année, mais elle ne bouge pas. «Tu retournes à ta place.» Quand elle colle un élève, c’est rare, et elle fait la colle avec lui.
Dans un autre genre, Muriel travaille avec les familles «entre midi et deux, à la fin des cours, à la fête du quartier le samedi, pour aller dire bonjour à l’oncle, la tante». Ça fait plus de vingt ans. Du coup, même avec les classes réputées difficiles, elle a moins de problèmes que les jeunes collègues. «L’élève me dit : "Ma grande sœur vous dit bonjour."» Je vais à l’anniversaire de la grand-mère. C’est mes cocos. Ils ont mon numéro de portable, je reçois des textos pour la nouvelle année. On dialogue. Mais ça demande énormément d’énergie.»«Ça prend du temps, sourit Corinne. Je n’ai pas d’autre solution». Un quart-temps gratuit en plus.
Muriel réclame plus de pouvoir répressif, des chefs d’établissements solidaires. «Il faut que l’élève représente un danger pour qu’on le mette dehors. Un gars qui crache sur un agent de service, ça lui vaut deux jours d’exclusion et il revient.» Elle veut plus de pions. «Des pions de 50 ans, il n’y en a plus. Pourquoi pas un vrai métier de surveillant, des gens formés, un vrai statut ?» Bastien, pion sans statut, a créé un atelier musique, il a amené sa guitare, sa batterie et son clavier personnels, à 10 euros l’heure. Aucun n’est désespéré. «Je crois à l’école publique, sourit Muriel. Des gars de quartier deviennent potes avec des gens du BTS stylisme aux cheveux bleus. Les barrières communautaires à deux balles tombent. Et quand ils trouvent du boulot, c’est plus les mêmes. Rien à voir avec les pitbulls qu’on avait eu en classe.»
Haydée Sabéran
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