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«J'ai soixante ans, c'est ma première grève»


SOCIETE - «Il paraît qu'ils étaient 150.000 (1) dans les rues à Paris. Aucun mandarin n'a été roué de coups». Petite salle à l'hôpital Jeanne de Flandres de Lille. Huit blouses blanches autour de la table. Le Pr François Fourrier, réanimateur, sourit, mais n'a pas le coeur à rire. «J'ai soixante ans, 37 de pratique hospitalière. C'est ma première grève». Comme ses sept confrères, il est à la fois calme, et remonté comme une pendule. Voilà pourquoi.

«Un seul patron à l'hôpital». Ce qui ne passe pas, dans le projet de loi «Hôpital, patients, santé et territoire» c'est la première partie. Le «titre 1», sur qui décide à l'hôpital, «on le jette à la poubelle, et on re-discute», résume François Fourrier. Ce qu'il craint? La prise du pouvoir des gestionnaires. «Jusqu'ici, les médecins à la commission médicale d'établissement étaient nommés par leur pairs. Ils seront nommés par le directeur, lui même nommé par le directeur de l'Agence régionale de santé, lui même nommé par le président de la République. Cela génère quelque chose de pervers, et d'anti-démocratique», résume François Fourrier. Nicolas Sarkozy a dit qu'il ne voulait qu''un seul patron à l'hôpital. «Il paraît que ce n'est pas négociable. De notre côté non plus. On n'en veut pas».

«On ne nous parle que de sous». Pourquoi pas un seul patron? «Il y avait jusqu'ici un équilibre assez subtil entre les gestionnaires et les soignants, explique François Fourrier. Cette loi met une seule personne en capacité de décider et d'imposer». D'imposer quoi? Le portefeuille, bien sûr. Dans un système hospitalier aux lignes budgétaires «à la compresse près», soupire François Fourrier, et où «on ne nous parle que de sous», ajoute le Pr Damien Subtil, gynécologue obstétricien, on craint les dérives d'une médecine à l'anglaise.

Exemple ici, à la maternité, où les accouchements augmentent, et les soignants diminuent : «On nous dit déjà qu'il va falloir se résoudre à faire un peu moins bien, raconte Damien Subtil. Moins de temps sur la préparation à l'accouchement, sur l'aide à l'allaitement. On nous dit que les patientes toxicomanes, il vaudrait mieux qu'il n'y en ai plus trop». Et où vont-elles accoucher? Dehors? Damien Subtil : «Jusqu'à présent, on résiste». Le Dr Saïd Djavadzadeh-Amini, pédiatre, insiste : «On ne peut pas considérer l'hôpital public comme une entreprise, avec des résultats, des bénéfices. Notre vocation est de soigner».

Ils assurent qu'ils n'ont rien contre les directeurs. «Des consignes venues d'en haut, ça peut se concevoir dans une entreprise. A l'hôpital, c'est inconcevable ajoute François Fourrier. Au bout, ce sont des patients». L'an dernier, il a dépensé un million d'euros en 48 heures pour sauver une vie. «Le malade a guéri malgré la gravité de sa maladie. C'est encore possible dans notre pays». Oui mais voilà. Il déplore qu'on ne l'évalue jamais sur la qualité des soins. «On nous demande toujours "Combien vous avez couté?"».

Nord-Pas-de-Calais, danger. «J'ai une crainte particulière pour notre région, ajoute encore François Fourrier. Le Nord-Pas-de-Calais est sous-médicalisé, et souffre, en plus, d'un retard social et sanitaire. Il y a moins de médecins -le CHR de Montpellier a budget d'un tiers supérieur au nôtre, avec une activité moindre-. En plus, les gens sont plus durs au mal, vont moins se soigner. Si on applique des directives de gestion, les autres seront à l'équilibre dans le confort, et chez nous, le retard en équipement et en ressources humaines va s'aggraver».

Propos recueillis par Haydée Sabéran

LA GREVE - Les médecins sont en grève administrative, suivie à 40%, sans impact sur les patients. Aujourd'hui, c'était la grève des soins, les activités déprogrammables ont été arrêtées. Prochaine AG : le 7 mai.

(1) Ils étaient entre 8.000 et 20.000, selon l'AFP.