SOCIETE - Ils sont une petite centaine. Ils forment un cercle, et se taisent, immobiles, pendant une heure. Certains ont une torche à la main. Un type s’approche : «Heu... vous pouvez m’expliquer ? C’est une commémoration ?» Tous les derniers mardis du mois, à 18 h 30, place de la République à Lille, c’est le cercle de silence.
Des catholiques, orthodoxes et protestants du Groupe de réflexion interreligieux de l’aide aux migrants, des gens de la Ligue des droits de l’homme, du Mrap, de la Cimade, du Réseau éducation sans frontières, deux frères franciscains en habit. Une banderole : «Cercle de silence, pour que la France redevienne le pays des droits de l’homme».
C’est une forme de colère pacifique inventée par des franciscains, sur la place du Capitole à Toulouse pour protester contre la politique d’immigration de la France. A Lille, cela dure depuis onze mois. On y était le mois dernier, et c'était à nouveau hier soir.
«Bêtes». Il fait froid, et il y a un peu de brume, sous le halo orange des lampadaires. Ils rentrent la tête dans leur écharpe. Des gens s’approchent, ne comprennent pas toujours. Quelques minutes plus tôt, avant de se taire, Michel Ruef, aumônier des prisons, dit «à ceux qui affirment qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde», qu’il fallait «commencer par ne pas piller toutes les richesses du monde» et que que sa «conception de l’humanité et de l’accueil» ne correspond pas «à la brutalité des centres de rétention». Jean-Pierre Leroy, président du Griam et animateur en pastorale, est là parce que «les droits de l’homme sont bafoués, on arrête les gens, on les relâche, on les arrête de nouveau, les personnes sont considérées comme des bêtes».
A la Ligue des droits de l’homme, Brigitte Pavy ajoute que «ce n’est pas parce que j’ai eu la chance de naître dans un pays riche et démocratique, que d’autres n’ont pas le droit de vivre dans des conditions dignes».
«Supergentil». A quelques mètres, un rassemblement en faveur d’un
étudiant sans-papiers lillois menacé d’expulsion.
Bruno, prof de maths, qui vient soutenir l’étudiant, regarde
le cercle de loin : «Trop silencieux pour moi.» Il
se ravise : «En même temps, ils nous disent que la
politique, parfois, est tellement inadmissible que ça nous
laisse sans voix.»
Rémi, prof, déboule en vélo de la Grand Place, non loin. L’initiative, il la trouve «forte». Même s’il vient juste de faire tout l’inverse : un «grand cri critique», d’une minute, poussé par une cinquantaine de personnes, profs, élèves, parents, quelques minutes plus tôt, pour protester contre les réformes Darcos.
On demande à Elhadi, étudiant algérien, ce qu’il en pense. Il ne sait pas, il croit savoir que c’est «un truc catho». On lui explique, les droits de l’homme, les sans-papiers, les centres de rétention. Il les regarde mieux. Il a l’air scié. «En tant que musulman, je suis très touché par le truc.» Il ajoute : «Je trouve ça supergentil.» Julie, étudiante en histoire, passe, s’arrête longtemps. Elle trouve que ça «donne de l’espoir, tous ces gens qui se tiennent dans le froid, pour les droits de l’homme».
Haydée Sabéran