MÉMOIRE - Cent mille mineurs en grève contre l’occupant nazi en mai 1941, et si peu le savent. Ce soulèvement populaire, qui n’arrangeait ni le PC, ni les gaullistes, fête ses soixante dix ans cette année dans la discrétion : Marcel Barrois, 14 ans à l’époque, déjà militant communiste,
Pourquoi cet acte de résistance massif est-il aussi peu connu aujourd’hui ?
« C’était volontairement méconnu et déformé, parce que c’étaient les mineurs, la classe ouvrière. Le 11 novembre 1940, le jour où les étudiants manifestaient leur patriotisme à Paris [devant la tombe du soldat inconnu, NDLR], ce qui est admirable, 40 000 mineurs ont fait grève. C’était ma première grève J’avais commencé à travailler au fond en septembre 40, à l’époque on était embauché à 14 ans. Mon père et mes frères étaient mineurs aussi.
Comment s’est passé ce premier arrêt du travail ?
Il n’y avait pas de mot d’ordre, pas de consignes nulle part, mais on était profondément choqué par la décision de la structure militaire allemande de nous faire travailler le 11 novembre. C’était une journée sacrée, un hommage aux martyrs, aux milliers de jeunes morts. La guerre de 14 a été tellement dure en Nord-Pas-de-Calais, et nombre de mineurs l’avaient faite. C’était une insulte. Surtout quand les mineurs ont su que Pétain accueillait Hitler à Montoire, dans le wagon où avait été signée l’armistice. C’était un acte patriotique, sans autre revendication. Mon père est entré un soir, avec mes deux frères, et il nous a dit, « faut qu’on discute, il n’est pas question pour nous d’aller travailler le 11 novembre. »
Vous étiez dans une famille militante ?
A l’époque, j’étais aux Jeunesses communistes, elles avaient été dissoutes en 33. Après l’invasion, on a recommencé à fonctionner, plus ou moins en cachette. On se réunissait à la maison de notre responsable, ce n’était pas très prudent… On n’avait pas saisi l’ampleur du drame.
Et ensuite que s’est-il passé ?
Les Allemands pillaient les ressources locales,, l’hiver 40 a été une période très très dure. On était payé, mais il n’y avait plus rien dans les magasins. On avait du mal à trouver des pommes de terre. Ils avaient besoin de nous pour produire les richesses qu’ils pillaient : ils ont voulu nous faire faire une demi-heure supplémentaire de travail. Les compagnies minières étaient cul et chemise avec les occupants. Les grèves ont commencé, dans le Douaisis, dans le Valenciennois. Puis La mobilisation a monté, c’est devenu plus qu’une grève, un mouvement populaire énorme. Cela a duré du 27 mai au 5 juin, avec 100 000 mineurs en grève sur 130 000.
Quels sont vos souvenirs de cette période ?
Je travaillais au 7 de Barlin. Déjà, on traînait les galoches, on ralentissait la production. Les Allemands ne descendaient pas au fond. La grève, on l’a préparée. On avait des tracts, qu’on distribuait. On ne travaille pas pour les Boches, on disait. Pendant le mouvement, à 5h du matin, tout le monde sortait sur le pas de sa porte, toutes les femmes, des centaines de femmes de mineurs, qui jasaient, rigolaient, et vérifiaient que personne n’allait travailler. On avait l’idée que les Allemands n’oseraient pas toucher aux femmes. Il y a eu une grosse manifestation à Billy-Montigny, dispersée avec des tirs. Les Allemands ont commencé à sentir que la situation leur échappait.
Comment ont-ils réagi ?
La répression a commencé. Ils ont arrêté tous les mineurs les plus marqués politiquement, ceux qui avaient un passé militant. C’étaient des Français qui donnaient les noms. Dans la voiture des Allemands, il y avait toujours quelqu’un qui les dirigeait. Beaucoup de camarades ont réussi à se sauver et à entrer dans la clandestinité.
1400 mineurs ont été arrêtés, 240 ont été déportés, une centaine fusillés. On a repris le travail sous la contrainte, ils sont passés avec des chars dans les rues, avec des hauts-parleurs, on ne pouvait pas pousser plus loin, on avait les mains vides. Ce n’était pas la lutte finale, on ne faisait que commencer le combat.
Recueilli par Stéphanie Maurice
« C’était volontairement méconnu et déformé, parce que c’étaient les mineurs, la classe ouvrière. Le 11 novembre 1940, le jour où les étudiants manifestaient leur patriotisme à Paris [devant la tombe du soldat inconnu, NDLR], ce qui est admirable, 40 000 mineurs ont fait grève. C’était ma première grève J’avais commencé à travailler au fond en septembre 40, à l’époque on était embauché à 14 ans. Mon père et mes frères étaient mineurs aussi.
Comment s’est passé ce premier arrêt du travail ?
Il n’y avait pas de mot d’ordre, pas de consignes nulle part, mais on était profondément choqué par la décision de la structure militaire allemande de nous faire travailler le 11 novembre. C’était une journée sacrée, un hommage aux martyrs, aux milliers de jeunes morts. La guerre de 14 a été tellement dure en Nord-Pas-de-Calais, et nombre de mineurs l’avaient faite. C’était une insulte. Surtout quand les mineurs ont su que Pétain accueillait Hitler à Montoire, dans le wagon où avait été signée l’armistice. C’était un acte patriotique, sans autre revendication. Mon père est entré un soir, avec mes deux frères, et il nous a dit, « faut qu’on discute, il n’est pas question pour nous d’aller travailler le 11 novembre. »
Vous étiez dans une famille militante ?
A l’époque, j’étais aux Jeunesses communistes, elles avaient été dissoutes en 33. Après l’invasion, on a recommencé à fonctionner, plus ou moins en cachette. On se réunissait à la maison de notre responsable, ce n’était pas très prudent… On n’avait pas saisi l’ampleur du drame.
Et ensuite que s’est-il passé ?
Les Allemands pillaient les ressources locales,, l’hiver 40 a été une période très très dure. On était payé, mais il n’y avait plus rien dans les magasins. On avait du mal à trouver des pommes de terre. Ils avaient besoin de nous pour produire les richesses qu’ils pillaient : ils ont voulu nous faire faire une demi-heure supplémentaire de travail. Les compagnies minières étaient cul et chemise avec les occupants. Les grèves ont commencé, dans le Douaisis, dans le Valenciennois. Puis La mobilisation a monté, c’est devenu plus qu’une grève, un mouvement populaire énorme. Cela a duré du 27 mai au 5 juin, avec 100 000 mineurs en grève sur 130 000.
Quels sont vos souvenirs de cette période ?
Je travaillais au 7 de Barlin. Déjà, on traînait les galoches, on ralentissait la production. Les Allemands ne descendaient pas au fond. La grève, on l’a préparée. On avait des tracts, qu’on distribuait. On ne travaille pas pour les Boches, on disait. Pendant le mouvement, à 5h du matin, tout le monde sortait sur le pas de sa porte, toutes les femmes, des centaines de femmes de mineurs, qui jasaient, rigolaient, et vérifiaient que personne n’allait travailler. On avait l’idée que les Allemands n’oseraient pas toucher aux femmes. Il y a eu une grosse manifestation à Billy-Montigny, dispersée avec des tirs. Les Allemands ont commencé à sentir que la situation leur échappait.
Comment ont-ils réagi ?
La répression a commencé. Ils ont arrêté tous les mineurs les plus marqués politiquement, ceux qui avaient un passé militant. C’étaient des Français qui donnaient les noms. Dans la voiture des Allemands, il y avait toujours quelqu’un qui les dirigeait. Beaucoup de camarades ont réussi à se sauver et à entrer dans la clandestinité.
1400 mineurs ont été arrêtés, 240 ont été déportés, une centaine fusillés. On a repris le travail sous la contrainte, ils sont passés avec des chars dans les rues, avec des hauts-parleurs, on ne pouvait pas pousser plus loin, on avait les mains vides. Ce n’était pas la lutte finale, on ne faisait que commencer le combat.
Recueilli par Stéphanie Maurice
Exposition sur la grande grève des mineurs de 41 à la Maison syndicale des mineurs, 32 rue Casimir-Beugnet à Lens.