ÉCONOMIE - Hérissé de grues, démesuré, assez avancé pour qu’on en voie les contours et pour faire rêver les supporteurs, le chantier du Grand Stade de Lille n’avance plus. Eiffage Travaux publics est en grève depuis plus de deux semaines, Eiffage Construction depuis une dizaine de jours. Une grève pour les salaires qui touche tout le groupe, dans toute la France. A Lille, les ouvriers réclament 85 euros d’augmentation au géant du BTP, soit environ 3%. La direction propose 1,7%. Vendredi, l’entreprise avait assigné une vingtaine de grévistes au tribunal de grande instance de Lille. «Atteinte à la liberté du travail», «atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie», «atteinte au droit de propriété», a plaidé l’avocat d’Eiffage, .
«Expulsion». L’avocat réclame 5 000 euros d’astreinte par jour bloqué, et demande au tribunal d’«ordonner l’expulsion des grévistes», au moyen, «le cas échéant», de la force publique. Il plaide des conséquences financières «énormes» pour Eiffage, «plus de 100 000 euros par jour». Le futur stade de 50 000 places est attendu pour l’été 2012, avait annoncé Jean-François Roverato, le PDG d’Eiffage, lors de la pose de la première pierre, en septembre.
Les grévistes assurent ne pas bloquer le chantier. Sur place, ils sont postés aux trois entrées, mais pas à l’intérieur. Ils réclament un médiateur. Vendredi midi, sous le soleil, devant une des entrées, les ouvriers discutent : «Bloquez tout, bordel !» ; «on veut pas être hors la loi, on a le droit de grève, mais faut qu’on emmerde personne…» ; «si les sous-traitants entrent, ils vont faire notre boulot.» Quelqu’un suggère de ne travailler que le matin. Un chef d’équipe : «Impossible, le travail, faut le finir. Si le béton est là, faut le couler, sinon t’es chocolat, abandon de poste.» Un groupe scande : «Martine ! Martine !» en référence à Martine Aubry, présidente de Lille-Métropole, la collectivité qui fait construire le stade. On ne l’a pas encore vue sur le chantier.
Le 1er avril, alors qu’elle annonçait que le stade coûterait moins cher que prévu, elle ne s’est pas prononcée sur la grève : «Ce qui est sûr, c’est que 40% des salaires n’ont pas augmenté depuis cinq ans en France. Je ne sais pas ce qu’il en est chez Eiffage.» Vendredi, à sa demande, son délégué à l’action économique à Lille-Métropole, Michel-François Delannoy, a reçu les grévistes, et réclamé la reprise des négociations «sans condition». A l’audience, le juge a annoncé aux grévistes qu’Eiffage était prêt «à reprendre les négociations dès que les entraves seront levées».
Pissenlits. Sur la route qui longe le stade, des grévistes tendent une sébille pour alimenter la caisse de grève, en échange de pissenlits cueillis sur le bord de la route, «pour le café le matin, et les merguez le midi». Certains automobilistes lèvent le pouce ou klaxonnent. Un retraité verse 10 euros : «Faut rien lâcher.» Un supporteur : «Solidaire pour le stade !» Réponse : «T’es pas près de l’avoir…» Un maçon-finisseur : «On ne demande pas une grosse augmentation. Ils refusent d’aller au-delà de 12 à 25 centimes d’euros de l’heure de plus, selon les salaires. Ça couvre même pas la hausse du gazole.» Il dit gagner un peu plus que le Smic, «alors que dans le bâtiment, on laisse sept ans de notre vie par rapport à la moyenne».
Un autre ouvrier raconte qu’habitant à plus de 1 000 kilomètres, il est obligé de louer une chambre à Lille, «dans les 400 euros» : «Il faut ajouter les allers-retours, le péage, le gazole.» Il dit toucher «dans les 2 500 euros avec les primes». Le juge rend sa décision ce matin.
Haydée Sabéran