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Le Nord d’une seule «Voix»


MEDIAS - C’est un des rares coins de France où on trouve encore des journaux régionaux payants et concurrents. Dans un an, ce sera fini. A Lille, le groupe Voix du Nord annonce un projet de fusion de ses rédactions Voix du Nord, Nord Eclair, et le gratuit Direct Lille.

Le but, c'est fabriquer trois journaux avec une machine rédactionnelle unique, via le système éditorial CCI Newsgate : une gare de triage, qui alimentera les journaux, leurs sites internet, les tablettes, les smartphones et 24 portails locaux, avec du texte, de la vidéo film et du son, et des éditeurs papier et Web, dans chaque édition locale. Depuis juin, le groupe organise des ateliers et les premiers logiciels devraient arriver en novembre.

«Bouche-trou». Les deux titres devront «se compléter», dixit la direction. Nord Eclair deviendra «chaleureux et complice», «populaire mais pas populiste», tourné sur Roubaix-Tourcoing. Pour le reste, le directeur général du groupe, Jacques Hardoin, assure qu’il faut «inventer». Fin de la pluralité à Lille ? Jacques Hardoin rassure : «Pour certains papiers, comme la couverture d’une séance plénière du conseil régional ou un conseil municipal à Roubaix, il y aura encore deux journalistes.» Pour les autres sujets, un journaliste devra-t-il écrire un article pour la Voix, puis le même, plus «chaleureux et complice», pour Nord Eclair ? «Non, ça sera le travail de l’éditeur.» Y aura-t-il encore des pages «région» à Nord Eclair ? Mystère.

Cette fusion a pour objectif de lutter contre la concurrence du Web et l’érosion des ventes. La Voix du Nord, 300 journalistes, avec 275 000 exemplaires, a baissé de 3% en 2010. Il s’agit aussi de ne pas laisser mourir Nord Eclair.

Lu à 80% à Roubaix-Tourcoing, deux villes plutôt «pauvres», Nord Eclair ne compte plus que 25 000 lecteurs pour 50 journalistes. Il survit grâce aux aides au portage qui cesseront en 2012.

Autre but de la manœuvre : puiser dans le vivier des journalistes de la rédaction de Nord Eclair pour alimenter la nouvelle machine à info. Que restera-t-il de Nord Eclair ? Vincent Tripiana, délégué SNJ à la Voix, craint que son journal pompe «la moelle épinière» de son voisin.

Du côté des journalistes, peu d’enthousiasme même si on reconnaît que «le papier s’épuise», et qu’«il faut trouver des solutions». A Nord Eclair, on se dit «soulagés» des emplois préservés, mais «inquiets» pour la survie du titre. On craint de servir de «bouche-trou» pour les éditions locales de la Voix, explique Marjorie Duponchel, déléguée SNJ.

Un projet «aussi vague qu’inquiétant» peste l’intersyndicale CGT-SNJ des deux journaux. A Nord Eclair, on s’inquiète pour l’identité du journal. Le directeur général assure qu’il est attaché à l’actuelle ligne «démocrate-chrétienne».

Optimiste. Dans les deux rédactions, on se demande si on ne va pas devenir des hommes-orchestres, des «Rémy Bricka de l’info», ironise un journaliste : «Caméra dans une main, micro dans l’autre, comment on fait pour tenir le stylo et le carnet ?» «On va devenir le CNN du Nord- Pas-de-Calais !»

Grégory Autem, délégué CGT à la Voix trouve «effrayant» le côté «mass media, info unique. Il n’y aura plus de chasse au scoop, tout passera par le même canal». Christian Vincent, pour la CFDT à La Voix, refuse que les salariés du groupes se transforment en «machines à produire». Et souhaite que son journal parle de «lecteurs, de journalistes, d'information et pas seulement de clients, de communication et de marketing».

Florence Traullé, chef du service région de Nord Eclair, est optimiste : «C’est la première fois en vingt ans qu’il se passe quelque chose d’offensif.» Avec le reste de la rédaction, elle demande quand même des garanties, l’embauche de trois CDD, et le maintien de l’édition locale de Lille. Et prévient : «Si c’est pour faire un France-Soir régional, sans moi.»

Haydée Sabéran