SOCIETE - C'est une première en France : la ville de Tourcoing installe demain un conseil de la laïcité et du vivre ensemble, avec des représentants des différentes religions (musulmane, catholique et protestantes), et des membres d'associations laïques. Pour réfléchir ensemble sur des cas concrets, le voile à l'école, par exemple. Il aura un rôle consultatif pour les élus du conseil municipal et sera également force de proposition. Rachid Benzine, parrain du projet, professeur à Sciences-Po Aix en Provence, et chercheur associé à l'Observatoire des religions, explique
C'est la première fois qu'une municipalité ose dépasser les fausse polémiques et inaugure quelque chose de nouveau, une laïcité appliquée, c'est à dire qui part du terrain.
Qu'appelez-vous les "fausses polémiques" ?
Quand il s'agit du fait religieux, il est très difficile de débattre de façon sereine, ce sont les imaginaires qui l'emportent. Le choc de ces imaginaires fait qu'on ne peut pas honorer le conflit. Les conflits sont fondateurs, ils sont intéressants pour faire évoluer la société. Mais là, il n'y a pas de débat dans l'espace public, on a une espèce d'exclusion réciproque.
Pourquoi un espace public de débat tel que celui proposé par la ville de Tourcoing est intéressant ?
Parce que on peut y avoir une approche critique. C'est intéressant d'avoir une distance critique vis à vis du croire, qu'il soit politique ou religieux. Par exemple, la laïcité ne prend pas en compte le fait religieux : c'est désormais un impensé qu'elle va devoir penser. Comment ensemble allons-nous décider de vivre ensemble ? C'est de la laïcité pratique et pragmatique : on ne part pas d'une posture idéologique, mais des problèmes existants. C'est important dans ce qui est en train d'arriver en France.
Et qu'arrive-t-il en France ?
La construction de l'Europe a fragilisé les sociétés dans leur identité. On a un retour également de l'identitaire religieux. Or le religieux n'est pas uniquement exclusif, il peut être aussi facteur de lien. L'espace public est envahi par les émotions sur ces sujets alors que l'Etat doit garantir la raison critique. Cette expérience à Tourcoing va devenir un laboratoire où on va construire les outils pour les mettre à disposition de tous. Pour construire ce nous, il faut de l'imagination, et non ces imaginaires fantasmagoriques, avec ces représentations où on a l'impression d'être envahi, l'impression qu'on ne peut plus vivre ensemble. Ce qui n'est pas vrai.
Propos recueillis par Stéphanie Maurice