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L'aile ou la pinte


LES FOODINGUES - Si, à 50 ans, vous n’avez pas goûté le grand bonheur d’une bonne bière du Nord sur un morceau de poisson fumé, alors il est temps de remiser votre Rolex, le temps de l’une de ces petites fugues qui vous ravaudent l’humeur quand elle est décousue. Prenez un aller simple pour la Côte d’Opale, du côté de Boulogne-sur-Mer, dans ce pays où l’on regarde passer les harengs avant de les fumer.

C’est le souvenir du mariage heureux d’un kipper de chez JC David (1), une fameuse saurisserie de Boulogne et d’une bière de Christophe Noyon, qui nous a mis sur la route de la brasserie artisanale des 2 Caps (2), un matin d’avril. Un crachin glacé enrobe la baie de Wissant et le cap Gris Nez. On descend vers la mer, couleur bronze, au milieu des labours gras et des prairies sombres, où la bruine devenue pluie drue cingle les arbrisseaux, à l’orée de la plage du Châtelet. La ferme de Belle Dalle est posée un peu plus haut. Belle demeure en L, taillée dans la pierre de Baincthun, avec en son centre un vaillant pigeonnier. Christophe Noyon est né et a grandi ici avant de suivre des études d’ingénieur agricole. Il a travaillé treize ans pour une grande firme américaine puis il est revenu sur ses terres natales pour créer sa brasserie artisanale. De prime abord, faire de la bière ne paraît pas bien sorcier : il faut de l’eau, du malt issu de l’orge germée, de la levure, du houblon et vogue la fermentation. Sauf que c’est un métier très exigeant pour qui veut brasser autre chose que de la bibine. Christophe Noyon est retourné à ses études pour un 3e cycle de brasserie à l’université de Louvain-la-Neuve, en Belgique, et deux stages dans des petites brasseries belges. On l’écoute raconter la naissance en 2003 de «La 2 Caps», sa première bière, sous les hautes cuves en inox de ses fermenteurs installées dans l’ancienne écurie à vaches. «Je voulais faire une bière blonde dans le sillage des bières d’abbaye. J’ai commencé avec deux casseroles et un fermenteur en plastique. J’ai concocté une recette de base que j’ai divisée en dix petits lots dans lesquels j’ai inoculé dix levures différentes et trois variétés de houblon. Au final, j’ai retenu trois recettes.»

Terroir. Pour tester sa bière, Christophe Noyon s’est livré à une enquête d’opinion bien plus fiable qu’un sondage élyséen. Il s’est posté place Dalton, à Boulogne, un jour de marché pour faire noter sur 10 sa «2 Caps» par 70 personnes. «Je voulais que ce soient les Boulonnais» qui choisissent. Après la «2 Caps», Christophe Noyon a mis au point la Blanche de Wissant et la Noire de Slack, dont les beaux grains d’orge grillés que l’on hume donneront en bouche des arômes de chocolat amer et de café. Il brasse trois fois par mois et confie une partie de sa production, à un brasseur belge. «Je me suis concentré sur le savoir-faire avant un brassage plus conséquent sur place.» Christophe Noyon a choisi de donner le nom de la ferme familiale à sa dernière bière parce qu’il l’a imaginée à la manière d’un vin enraciné en son pays. La Belle Dalle est brassée avec l’orge poussée sur les terres des Noyon. En 2008, Christophe a semé sur le chemin de Wissant, une parcelle sableuse. L’année d’avant, sa récolte d’orge avait été couchée par le vent. «J’ai récolté très sec. J’avais des petits grains, un tiers de déchets. Comme l’orge était couchée, le maltage avait commencé au sol», raconte ce brasseur paysan qui veut sortir du territoire de la bière standardisée où «la marque est goût». Il ambitionne de créer une micromalterie pour être au plus près de sa Belle Dalle et resserrer les liens «entre le terroir et le produit». On l’a quitté dans une amorce d’éclaircie avec en tête une prometteuse recette de poulet à la bière, empruntée à l’épatant site de cuisine Epicurien.be.

Marinade. Il faut : un beau poulet fermier ; 75 cl de bière Chimay bleue (ou une autre bière brune forte) ; 250 g de champignons de Paris ; 250 g de poitrine de porc fumée en lardons ; 2 gros oignons ; 15 oignons grelots; 2 gousses d’ail ; 2 carottes ; une branche de céleri, 50 g de beurre ; 4 clous de girofle ; une demi-cuillère de cannelle en poudre ; sel, poivre ; une branche de thym ; deux feuilles de laurier. Découpez le poulet en morceaux ; épluchez l’ail, les gros oignons, les carottes et la branche de céleri. Hachez l’ail et les oignons et coupez en petits cubes le céleri et les carottes. Placez le poulet, le céleri, les carottes, l’ail, les oignons et les lardons dans un saladier. Mouillez avec la bière. Ajoutez les clous de girofle, le thym, le laurier, la cannelle, du sel et du poivre. Laissez mariner douze heures au réfrigérateur. Epluchez les oignons grelots, nettoyez les champignons. Retirez le poulet de la marinade et égouttez-le. Passez la marinade dans une passoire pour séparer légumes et bière que l’on conserve. Faites fondre le beurre dans une cocotte et laissez blondir dix minutes les morceaux de poulet. Ajoutez les oignons grelots, les légumes et les lardons de la marinade et laissez suer cinq minutes. Versez la bière sur le tout et laissez mijoter, à couvert, durant une heure. Retirez le poulet et tenez-le au chaud. Retirez les oignons grelots, les lardons et les champignons. Passez le jus de cuisson dans une passoire tout en pressant les légumes pour en extraire le jus. Remettez le jus de cuisson en cocotte, à feu vif, jusqu’à obtenir une consistance nappante. Ajoutez 25 g de beurre mou et mélangez à la sauce que l’on peut lier avec un peu de Maïzena diluée dans de l’eau. Remettez les oignons grelots, les lardons, les champignons et le poulet quelques instants dans cette sauce.

En dessert, vous pouvez servir une Crème des moines qui exalte le goût de la bière. Il faut : 25 cl de bière brune (Chimay, Orval, Leffe brune…) ; 25 cl de crème fraîche liquide; 6 jaunes d’œufs ; 75 gr de sucre cassonade. Préchauffez votre four à 200 °. Mélangez la bière et le sucre dans une petite casserole Amenez doucement à ébullition. Battez la crème et les jaunes d’œufs dans un bol. Versez doucement la bière sur la crème en fouettant constamment. Répartissez ce mélange dans des petits ramequins et placez-les dans un plat à four, à moitié rempli d’eau. Mettez à cuire au bain-marie au four durant vingt-cinq minutes. En fin de cuisson, laissez refroidir les ramequins, placez-les au réfrigérateur. Après cela, vous aurez oublié la Rolex.

Jacky Durand

(1) Jcdavid.fr

(2) Ferme de la Belle Dalle 62179 Tardinghen, tél. 03 21 10 56 53, 2caps.fr. Visites commentées et ventes à emporter.