ENFANCE - Crèches en grève, rassemblement devant la préfecture de Lille, parents vent debout contre le projet de décret de Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la famille. Ce qu'ils craignent ? Que la politique de chiffre du gouvernement (200 000 places d'ici 2012) transforme les structures d'accueil de la petite enfance en simples garderies, à l'ancienne. Audrey Mallarme, responsable de la crèche parentale des Petites canailles, à Lille, constate : "Pour certains politiques, on n'a pas besoin de faire trois ans d'études pour changer une couche." Pourtant, son métier, c'est bien plus que cela. Elle explique.
En quoi le décret prévu par le gouvernement est-il dangereux, à votre sens ?
Aujourd'hui, les textes prévoient un adulte pour huit enfants "marchants" [vers 20 mois, NDLR], et un adulte pour cinq "non-marchants". Avec un minimum de deux personnes présentes quand il y a un groupe. C'est déjà hyper-juste. Imaginez un encadrant avec ses cinq bébés. Si Jules et Sarah ont faim en même temps, l'un des deux devra patienter. Or, un bébé de quatre mois ne sait pas patienter. Cela veut dire qu'on en pose un et qu'on le laisse pleurer. Moi, je suis toujours au-dessus du plafond. Car à deux encadrants pour cinq enfants, on peut bien s'occuper d'eux. Un bébé a besoin d'être pris dans les bras, il a besoin d'échanges verbaux, d'échanges de regards. Mme Morano veut augmenter le taux de remplissage des crèches, à budget équivalent. Je ne pourrai pas embaucher, on se serre déjà la ceinture. Le projet de décret remet en cause indirectement le taux d'encadrement des enfants.
Vous voulez dire que vous ne pourriez pas assurer le même accueil de qualité ?
Dans notre garderie, nous assurons la continuité des soins. C'est à dire que les bébés ont toujours la même personne qui s'occupe d'eux. S'ils passent entre de nombreuses mains, ce n'est pas bien pour leur sécurité affective, ils risquent de se sentir morcelés. Cela a été théorisé par des pédiatres. Ensuite, nous avons mis en place une relation avec les parents. Si les parents ont l'habitude de calmer le bébé en le portant contre l'épaule, nous allons le faire aussi. L'accueil des parents le matin, c'est très important, et il faut être deux. L'un discute avec les parents, l'autre s'occupe des autres bébés qui sont déjà là. A moins, c'est juste de la garderie. Faire dormir, changer et laisser pleurer. Vous voulez vraiment déposer votre bébé sur un tapis roulant et partir ? C'est un retour en arrière.
Que pensez-vous des autres formes de garde que veut développer le gouvernement ?
Les maisons des assistantes maternelles, par exemple ? Un texte permettrait aux assistantes maternelles de se regrouper dans un même lieu. D'abord, on perd l'avantage de l'assistante maternelle, l'idée de la continuité du domicile familial. Ensuite se pose la question de la gestion d'un groupe, pour laquelle les assistantes maternelles ne sont pas formées. Là, quelle hiérachie va être mise en place ? Qui gère ? Celle qui a la plus forte personnalité ? Celle qui a le plus de compétences ? J'ai travaillé dans différentes équipes, et les conflits sont courants. Dans une structure, ces conflits sont régulés parce qu'il y a une hiérachie, qui manage. Enfin, comment ces assistantes maternelles vont-elles accueillir ces enfants ?Que vont-ils faire dans la journée ? Y a-t-il un projet pédagogique écrit ? Le même flou entoure les jardins d'éveil : aucun taux d'encadrement n'a été donné, aucune qualification n'a été requise. C'est une remise en cause de notre professionnalisme et de l'accueil de qualité que nous défendons.
Recueilli par Stéphanie Maurice