JUSTICE - "C'est la luuutte finale, ... demain, l'Internationale..." Ce matin, sous les fenêtres du palais de justice de Dunkerque, les salariés de Total qui n'ont pas pu entrer dans la salle d'audience font passer le temps. A l'intérieur, les avocats de l'intersyndicale Sud, CGT et FO plaident pour la reprise de l'activité à la raffinerie des Flandres. Le motif ? Total n'a pas consulté le comité d'entreprise quand il a arrêté l'usine en septembre. Un fait que les avocats de la multinationale ne nient pas, mais ils n'y voient rien d'anormal. L'arrêt, disent-ils, est temporaire et ne méritait donc pas consultation du CE. Sauf qu'il dure toujours, et risque fort d'être définitif.
"On tient ici la pierre philosophale !", s'exclame Me Roger Koskas, qui défend les salariés. "Vous passez par un arrêt temporaire, puis l'arrêt devient définitif et vous ne consultez les représentants du personnel que sur les conséquences de la fermeture, pas sur la fermeture elle-même. C'est une mascarade de dialogue social." Me Tillie précise : "Avant toute décision, les instances du personnel doivent être averties et consultées." Il égrène le calendrier des atermoiements de Total : "Le 3 septembre, un communiqué interne annonce la fermeture temporaire de l'activité le 12 septembre. Le 7 septembre, l'arrêt conjoncturel est annoncé au CE." Et rappelle que c'est par un communiqué de presse, le 1er février, que Total annonce la création d'un centre d'assistance technique et d'un centre de formation, alors qu'un comité central d'entreprise se tenait le même jour. Pour l'intersyndicale et ses avocats, la cause est entendue, le droit du travail n'a pas été respecté, les salariés ont été mal informés : "Ils savent depuis le début qu'il y a tromperie de la part de l'employeur", glisse un avocat. La raffinerie doit redémarrer, et le processus de consultation du comité d'entreprise être repris depuis le début, dans les clous.
La partie adverse se défend en présentant comme "une décision ordinaire" l'arrêt temporaire de la raffinerie."La mesure temporaire envisagée n'avait aucune conséquence sur l'emploi", insiste Me Lhomme. Donc, estime-t-il, la consulation du comité d'entreprise n'était pas nécessaire. "A aucun moment, la direction de Total n'a voulu manquer à la dignité des salariés..." La salle bougonne, il continue : "A aucun moment, elle n'a privé de travail les salariés". Sur le banc, au deuxième rang, un ouvrier expulse l'air de ses poumons, comme s'il avait reçu un coup de poing dans le ventre. Depuis l'arrêt du raffinage, les employés de la raffinerie des Flandres sont payés, et veillent à la sécurité des installations, une précaution nécessaire dans une usine classée Seveso seuil haut. "Ils sont payés à être là, à jouer aux cartes, certes à la fin, ils pourront se présenter au championnat de tarot, mais cela n'a rien à voir avec l'activité de raffinage", s'indigne Me Koskas à la sortie de l'audience. Ce sera au tribunal de grande instance de trancher : y a-t-il atteinte au contrat de travail des salariés et au principe de consultation des instances ? Le jugement sera rendu le 22 avril.
Stéphanie Maurice