ÉCONOMIE - Actualisé à 17h30- Un piquet de grève d’immigrés à la retraite, en quelque sorte. Ils ont la soixantaine, parfois plus. Ils bavardent en arabe ou en chleuh, un patois berbère du Maroc. Anciens mineurs, le corps raide, installés sous une grande tente blanche devant l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM), à Noyelles-sous-Lens (1). Depuis mardi dernier, certains dorment là. Ce qu’ils réclament ? Le logement et le chauffage gratuit, comme leurs anciens collègues retraités des mines. Avec leur pension de misère, ils n’y arrivent plus. Ils s’estiment discriminés. Sur le papier, c’est moins une question de nationalité, que de génération.
De fait, ces derniers mineurs embauchés dans les années 70, quinze ans avant la fermeture des mines, ont été sacrifiés. Ils avaient environ 40 ans à la fermeture, fin des années 80. Loin de la retraite, loin aussi des vingt années de présence minimum pour avoir droit au chauffage et à la maison gratuits. Sur le marché au moment où toutes les industries fermaient, il a fallu se former, trouver un autre travail. Or les Marocains, majoritaires dans cette génération, étaient «analphabètes à 95%», explique Abdellah Samate, lui-même ancien mineur et président de l’Association des mineurs marocains du Nord-Pas-de-Calais, qui soutient le mouvement.
Ils ont bénéficié, comme les autres, d’un pécule «de 200 000 francs en moyenne, soit 45 000 euros [valeur 2010, ndlr] pour l’ensemble des mesures de conversion, y compris le rachat des avantages en nature», répond l’ANGDM, qui conteste toute «discrimination».
Les mineurs ont signé l’abandon de leurs droits, en échange d’un plan de conversion. «Ils n’avaient pas le choix», estime Abdellah Samate, «c’était ça ou le retour au pays». Le plan a débouché sur des contrats précaires et du chômage. L’aide au logement payait le loyer, grâce aux enfants. Mais ces derniers ont grandi, et l’aide a sauté. «J’ai 412 euros de loyer pour 600 euros de retraite. Comment je fais ?» se demande Farid (2), treize ans de mine.
Dans les années 60 et 70, les Charbonnages avaient recruté au Maroc, en vue des fermetures : les mineurs marocains étaient censés rentrer. Mais en 1980, après une grève, ils obtiennent le fameux «statut du mineur», leurs contrats de dix-huit mois renouvelables sont passés en CDI. Du coup, ils entrent dans les plans de conversion, comme leurs collègues français. Mais quand ces derneirs entrent chez EDF ou passaient des permis poids lourds, les Marocains récoltent plutôt des contrats précaires sur des chantiers.
Devant la tente blanche, Farid se souvient : il avait 22 ans, en 1974, quand Félix Mora, le recruteur de Charbonnages de France au Maroc, est venu le chercher à Ouarzazate. «Il fallait enlever sa chemise, tout le monde passait devant lui. Si on avait les muscles, c’était un tampon vert ici.» Il montre sa poitrine, en haut à gauche. Sur la peau ? «Sur la peau, oui.»
Haydée Sabéran
(Paru dans Libération du 20/04/2010)
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