CONCERT - Ce soir, c'est Ministère des affaires populaires, à l'Aéronef, à Lille, sur ses terres du Nord. Bien rempli, mais il reste encore de la place. Donc, faut y aller, faut y aller, avec en bonus-track, l'interview de Saïd, rappeur-militant. Grande gueule pas rasée, bien crevée, clope au bec, keffieh autour du cou. Dans la cuisine-salle à manger de la salle de spectacle, en goûtant une glace à la fraise Tagada (merci, cuistot !). Et en écoutant le phrasé d'un révolté travaillé au corps par une France qui discrimine.
Un concert, c'est un espace de décompression, on crée un espace d'exorcisme, de solidarité, on est avec des gens qui ont des sensibilités proches, des valeurs qu'on partage. Ca fait du bien. C'est agréable de ne pas se sentir seul. Et cela nous donne l'impression d'être un outil de rassemblement. Faire la fête, ce n'est pas réservé aux riches, aux dominants.
Votre deuxième album est plus dur, avec moins l'auto-dérision du premier...
C'est normal, la crise est là. On raconte nos histoires, des histoires d'êtres humains. Nous ne sommes pas des prêcheurs, nous nous sentons chroniqueurs, avec nos codes, nos rhétoriques qui sont différents de ceux des dominants.
Ce sont des histoires du Nord ?
Non. Je ne me sens pas d'ici, je ne me sens pas appartenir à ce pays-là. [Il sourit] Je n'ai pas dit que je ne suis pas d'ici. J'ai grandi dans le Nord de la France, mes repères familiaux sont ici, je me suis construit ici. Nous sommes des produits du système français, mais avec notre sang, nos traditions inculquées par nos parents, et leurs valeurs tiers-mondistes venues de la révolution algérienne. Une double construction. J'essaye de déconstruire en moi ce que je n'aime pas de mon côté franco-occidental. La culture française est tellement égocentrique qu'elle méprise le reste, elle ne s'y intéresse pas, donc elle ne le comprend pas. Je fais partie d'une population discriminée dans ce pays, à qui on dit, tu l'aimes ou tu le quittes, à qui on dit tous les jours 'tu n'es pas chez toi dans ce pays'.
Dans votre chanson Chouffou ma sar, vous racontez aussi qu'en Algérie, on vous appelle le Français. Alors, quelle est votre identité ?
Mon identité, elle est politique. Mon grand-père, mon père sont des ouvriers, ils ont travaillé dans les mines, dans le textile. Je connais la culture ouvrière du côté de l'immigré. Ils ont subi la double domination, sociale et raciale. Et ma grand-mère a connu la triple domination, tu rajoutes la domination masculine. Pourtant, elle est toujours restée debout. Mes grands-mères sont des exemples de résistance pour moi.
Vous êtes un homme en colère ?
J'ai beaucoup de colère contre la France dans son entité politique, la France libérale, raciste, et aussi contre tous ceux qui l'acceptent, qui ne disent rien, qui restent silencieux.
Qu'avez-vous pensé du débat sur l'identité nationale ?
Intéressant, parce qu'il permet à beaucoup de voir la réalité de la France, de ses traditions, de ses réflexes colonialistes, paternalistes, impérialistes.
Tous les Français ne sont pas d'accord avec ces réflexes-là...
Je vais pas remettre des médailles à des gens qui défendent la justice, c'est un minimum, non ?
Et la burqa ?
Les gens de gauche qui se font imposer le débat sur la burqa par les réacs de l'UMP, et en font quelque chose de central, c'est naïf. Non, c'est vraiment touchant, ces laïques qui s'inquiètent pour ces pauvres petites musulmanes, quand tu vois que les discriminations sont massives et touchent essentiellement les populations arabo-musulmanes. Il y a de quoi se sentir insulté.
Recueilli par Stéphanie Maurice
Tarif : 15 euros sur place, billetterie fermée à 21h30.