INTERVIEW - Une semaine après le résultat des régionales, retour sur le score du Front national dans la région. Marine Le Pen s'ancre dans le bassin minier, et explore de nouveaux territoires, ruraux, alors que sa formation stagne dans les villes où elle explosait dans les années 90, Roubaix, Tourcoing et Grande-Synthe. Analyse de Philippe Vervaecke, spécialiste des droites extrêmes à Lille 3.
Pourquoi le FN se maintient-il de cette façon dans notre région ?
Il y a un terreau très favorable, avec des terres très rurales, des zones industrielles en perte de vitesse, dans le Dunkerquois, à Maubeuge, et des villes avec des taux de chômage importants. Le Front national capitalise sur un sentiment de déshérence.
Comment analysez-vous les résultats de dimanche dernier ?
Ce qui me frappe dans ces résultats, c'est l'incapacité de la gauche classique de mobiliser dans une région où elle est forte. Il y a une déperdition très nette de voix entre 2004 et 2010 pour le PS, qui est le parti qui perd le plus d'électeurs, avec une différence de 180 000 voix. Alors que le Front national souffre, mais moins, de 336 000 à 300 000 voix entre 2004 et 2010. Il a un socle électoral très mobilisé et mobilisable. 2004 et 2010 sont des élections intéressantes à regarder car le contexte est comparable : deux années passées avec la droite au pouvoir. Ici, on ne peut pas dire que l'électorat de gauche s'est précipité pour désavouer le gouvernement, au vu de l'abstention, massive.
Pourtant, le FN n'a pas cartonné dans des villes comme Roubaix ou Tourcoing...
C'est exact, alors qu'ils ont fait leurs choux gras sur le Quick hallal de Roubaix, ou la construction des mosquées. L'argumentation du Front national sur la question de l'islamisation n'a pas forcément bien marché. A Roubaix, Marine Le Pen est à un score plus bas (18,78%) que la moyenne régionale (22,20%), alors qu'il y avait des éléments contextuels qui auraient permis un décollage. Il y a sans doute un phénomène de plafonnement du vote FN dans les endroits où ils ont eu des stratégies d'implantation anciennes.
Désormais, le fief du Front national se situe-t-il dans l'ancien bassin minier ?
Oui.Il y a eu un vote sanction contre le PS et l'UMP dans le bassin minier. La fin du régime de santé des mineurs a pesé, et ce qui se passe à Hénin-Beaumont aussi. Le souffle populiste du FN, cette volonté d'incarnation du pays réel a trouvé un terrain propice. Il y a eu un effet de dénonciation d'une forme de népotisme local du PS, en parallèle d'une attaque sur le côté poudre de perlimpinpin du sarkozysme. En particulier sur les problèmes de sécurité, en s'appuyant sur les contradictions de la politique gouvernementale, par exemple la fermeture du commissariat de Fourmies. Le FN se présente comme le seul capable de jouer le rôle du poil à gratter et dénonce ce qu'il appelle les collusions entre les grands appareils de partis classiques. Le parti socialiste est devenu un parti d'élus, de notables, c'est manifeste à la lecture de leur liste du premier tour : il devrait se méfier de la désaffection des électeurs. Il y a un côté caricatural du parti d'élus qui va finir par lui faire du tort.
Pour vous, le Front national a donc évolué dans la région...
Il y a une évolution vers un pluralisme des zones d'implantation. Le FN est désormais à la ville comme aux champs. Il se développe dans les zones rurales dans l'Artois. Son implantation est désormais forte dans les zones périphériques de migrations.
Recueilli par S.M.