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Régionales : le social s'invite dans la campagne


POLITIQUE - Chômage en hausse, pouvoir d’achat en berne, fermetures d’entreprises, moral des ménages en chute : à moins de deux semaines du premier tour du scrutin régional, Libération a voulu savoir si la situation économique et sociale pesait sur la campagne électorale, au détriment d’une droite guère vaillante. Tour de France, de Lille à Marseille.

Dans le Nord-Pas-de-Calais «Les électeurs dégoûtés par le système financier»

«Total Dunkerque ? C’est LE sujet de la campagne.» Marie-Sophie Lesne, troisième sur la liste UMP-Nouveau Centre menée par Valérie Létard dans le Nord-Pas-de-Calais, ne s’en inquiète cependant pas plus que cela. En vétéran des régionales : «En 2004, c’était Métaleurop et la fermeture de la brasserie Terken à Tourcoing. On avait des manifs d’ouvriers, d’Agir contre le chômage, des sans-papiers tous les jours à notre vitrine. Moi, ici, je n’ai encore rien vu.»

Devant le siège de campagne, sur le trottoir, à la craie bleue, le prénom de la tête de liste, «Valérie», s’étale. La vitrine s’agrémente d’un portrait de la blonde candidate. A l’intérieur, l’ambiance est cosy, fauteuils club blancs. On se moque du Modem, qui a bloqué une station-service Total et appelé au boycott de la marque. «Vous les avez vus, avec leurs banderoles orange ? Ridicule ! Même les ouvriers de Total Dunkerque pensent que c’est une bêtise.» Plutôt que grève et boycott, Valérie Létard, par ailleurs secrétaire d’Etat chargée des Technologies vertes, préfère «penser à l’avenir et préparer l’économie de demain», avec le développement d’emplois verts, comme sur l’ancien site de Metaleurop, devenu une plate-forme de recyclage des déchets. «La résolution des problèmes sociaux n’est pas l’apanage de la gauche. On est aussi dans ce combat», s’offusque Sébastien Leblanc, des Jeunes populaires.

La droite se veut résolument optimiste : «Les gens ressentent que le contexte économique est difficile, mais ils savent que les réformes de fond, on les a faites», affirme Marie-Sophie Lesne. En tête de son argumentaire anti-crise, la réforme de la taxe professionnelle : «Rien que les petits commerçants de ma ville, vous seriez étonné de ce qu’ils versent. La TP pèse sur l’investissement et l’emploi. Il faut soulager les entreprises.» Valérie Létard attaque : «Que faut-il choisir ? Assurer la progression de la cagnotte des communautés d’agglomération ou penser à l’emploi ?» Les électeurs sont-ils déçus par Nicolas Sarkozy ? «Non, ils sont dans l’expectative», élude Sébastien Leblanc. Il les reconnaît «dégoûtés par le système financier», tout de même. Mais le constat ne pèserait pas sur la campagne.

Olivier Henno, tête de liste Modem, estime que Total marque les esprits dans la région, surtout avec «la caisse de résonance qu’est la campagne électorale». Et ironise : «C’est justement ce moment-là que les décideurs économiques choisissent pour annoncer les mauvaises nouvelles, la fermeture de la raffinerie, ce qui veut dire 1 000 à 2 000 familles touchées. Ils sont tellement dans leur bulle qu’ils n’avaient même pas vu qu’il y avait une élection régionale.» Mauvais pour Nicolas Sarkozy, perçu comme l’ami des patrons ? Valérie Létard se fâche : «Il a accepté la mise en place du RSA, la rénovation des logements sociaux. Ce n’est pas ce qu’on peut appeler un comportement ultralibéral !» Olivier Henno sourit : «C’est la méthode Coué…»

En Aquitaine «Les élus perdent le contrôle, leur rôle n’a plus aucune fraîcheur»

Un climat de défiance plane dans cette Aquitaine pourtant relativement épargnée. Jean Lassalle, député et candidat Modem, parle de «désenchantement», de l’écœurement de ses interlocuteurs face aux questions d’emploi et d’industrie. Et il ne se fait pas d’illusions : «Les gens nous en veulent.»«On oscille entre la férocité désespérée de ceux qui sont concernés et une espèce de fatalisme chez les autres», pointe-t-il. Pire : «Beaucoup me disent que nous sommes les derniers à croire que nous servons à quelque chose. Ils ont le sentiment que nous sommes complètement dépassés par la muraille de l’argent. Ils ne nous voient jamais de leur côté, les élus ne sont jamais là pour prendre leur défense. Et je suis intimement persuadé qu’on a effectivement perdu le contrôle. Nous sommes dans un théâtre d’ombres, à jouer un rôle qui n’a plus aucune fraîcheur.»

Sur le terrain, tous les candidats doivent faire face aux mêmes angoisses récurrentes : en visite dans un centre de formation des apprentis (CFA), Xavier Darcos est pressé de répondre de l’avenir du système de retraites. Traversant une cité universitaire bordelaise, il est interpellé par une future avocate, éternelle stagiaire, sur les difficultés d’insertion dans le milieu professionnel. Ministre du Travail autant que candidat, il ne peut ignorer les turbulences du climat social. A ses yeux, pourtant, c’est plutôt l’avis de grand calme : «Je ne ressens pas de vindicte particulière en Aquitaine. L’inquiétude se situe beaucoup autour de l’insertion des jeunes. Ça fait partie des sujets qui irritent et font parler, mais il n’y a pas de crise économique grave.»

Depuis plusieurs années, son adversaire socialiste et président sortant, Alain Rousset, prête l’oreille aux inquiétudes des 1 600 salariés de l’ex-usine Ford en Gironde. Revendue au printemps, son avenir reste obscur. Pour autant, la gauche semble aussi impuissante à se saisir de ces problématiques. Et c’est Francis Wilsiu, l’ancien secrétaire du comité d’entreprise, un syndicaliste (CFTC) intégré en cinquième position sur la liste, qui rappelle les priorités : «Je fais partie de ceux qui poussent au cul Alain Rousset pour que ce soit son combat numéro 1.» Mais il n’est pas dupe : «Je sais que s’ils sont venus me chercher, c’est parce que je représente des voix. Le tout, c’est de pouvoir s’exprimer quand même.» Et d’amener ainsi la droite à s’engager dans le débat.

Avec son statut un peu à part d’ancien gréviste de la faim en guise de protestation contre le déménagement d’une entreprise locale, en 2006, Jean Lassalle s’estime relativement protégé d’une sanction des urnes. Il pointe pourtant l’une des contradictions de cette campagne : «Les gens ont envie de parler, de raconter. Mais dès qu’on sort le programme pour aller plus en profondeur, ils s’enfuient.» C’est tout le problème.

En Paca «Les Français vont-ils tomber dans le panneau de l’avant-tour de 2012 ?»

En Paca (Provence-Alpes-Côte-d’Azur), les sondages donnent Michel Vauzelle (PS) vainqueur. Facilement. Si, en plus, la question sociale s’y met, la droite est mal. Lors des grèves des raffineries, le candidat UMP Thierry Mariani essayait d’en rire : «S’il n’y a plus d’essence, on prendra le TER pour faire campagne… Enfin, on essayera…» Les TER «non fiables», la faute à Vauzelle, le sortant, c’est un des thèmes de l’UMP. Manque de chance : le train n’a pas l’air de préoccuper les électeurs, qui ont surtout le chômage en tête. Mariani s’adapte : si le chômage est, en Paca, «15% plus haut que la moyenne nationale», c’est la faute du président socialiste, coupable de ne pas avoir fait de plan de relance anti-crise. Sans l’avouer, Thierry Mariani, fidèle Sarkoboy, craint de subir un vote sanction contre ce gouvernement auquel il n’a jamais appartenu, sauf dans ses rêves. Un comble. Il lui reste un espoir : que le peuple de droite se mobilise contre les grèves. «Il y a une exaspération de notre électorat de voir que chaque période électorale est propice à tous les chantages» en matière sociale, analyse-t-il.

A gauche, on se frotte prudemment les mains. «La droite a fait une erreur en mettant l’accent de sa campagne sur les transports, note Patrick Mennucci (PS). Nous, on est sur l’emploi depuis le début. C’est un bon positionnement.» Idem pour la tête de liste du Front de gauche, Jean-Marc Coppola (PCF) : «Les préoccupations sociales sont numéro 1. Il y a un mécontentement, une colère. Les gens sont très inquiets.» Du coup, dans les sondages, le Front de gauche monte. Pas la droite.

Le sénateur (UMP) marseillais Bruno Gilles relativise : «En 2004, on a perdu à cause du vote sanction anti-Raffarin. Il y avait plein de sujets de mécontentement : la ceinture de sécurité, l’augmentation du tabac, les radars… Rien de tel aujourd’hui.» Plus que des tensions sociales, assure-t-il, la droite a «peur d’un vote assez haut du FN». Au-dessus de 10%, le Front national condamnera l’UMP à la défaite dans une triangulaire fatale au second tour.

Et le social assombrit la situation : tout le monde se tourne vers l’Etat pour lui demander d’intervenir. «Mais le gouvernement fait ce qu’il peut», estime Bruno Gilles, directeur de campagne de l’UMP dans les Bouches-du-Rhône. La gauche, qui réclame un vote sanction contre le président de la République, ferait-elle mieux à sa place ? Bruno Gilles interroge : «Est-ce que les régionales doivent se transformer en référendum, en avant-tour de la présidentielle de 2012 ? Est-ce que les Français vont tomber dans le panneau ?»

Si le PS y puise une nouvelle vigueur, la droite peut aussi y trouver l’occasion de serrer les rangs, espère l’élu UMP : «35 à 40% des Français restent accros à Nicolas Sarkozy. S’ils décident de voter, on peut faire de grosses surprises.»

Stéphanie Maurice (A Lille), Laure Espieu (à Bordeaux) et Michel Henry (à Marseille)

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