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Des tentes pour les migrants : «On ne laisse même pas une bête dehors»


SOCIÉTÉ - C'est un petit chapiteau, à Steenvoorde, dans les terres, près de Dunkerque. Dessous, des Erythréens, qui tentent chaque nuit, avec femmes et enfants, de se glisser dans les camions sur l'aire d'autoroute voisine, vers l'Angleterre. Avec l'accord du maire UMP, des habitants ont décidé de les loger là, en fin de semaine dernière. Une démarche «humanitaire, pas politique», insistent-ils avec prudence. Interview de Damien Defrance, instituteur à la retraite, président de Terre d'errance Steenvoorde.

Comment avez-vous décidé de monter ces tentes?

On voit passer des gens dans notre village, en bordure de l'A25 vers Dunkerque, depuis la fermeture du centre de Sangatte, il y a six ans. Cet été, ils sont venus de plus en plus nombreux, à pied, d'Hazebrouck. Fin juillet, les forces de l'ordre sont intervenues avec hélicoptère et projecteurs. On a appris que 64 personnes évaient été interpellées, chassées d'un bosquet entre le centre-ville et l'aire d'autoroute où ils s'étaient installés. On s'est dit "comment vivent-ils?" Ça semblait démesuré. Ils se sont installés dans le jardin près de l'église. Ensuite ils ont trouvé un hangar, dont ils ont été expulsés, et ils sont revenus devant l'église, une trentaine, nuit et jour, au mois d'août. C'était surréaliste. Et puis, il y a eu un orage terrible, une nuit. Il y avait des femmes et des enfants. On s'est dit "c'est plus possible". Avec l'accord du curé, on a ouvert l'église. Ils se sont séchés, ils sont repartis. On s'est dit qu'il fallait faire quelque chose.

Quoi?

La loi est là. Nous devons être informés, en tenir compte. On a organisé une réunion, 140 personnes sont venues. On a expliqué ce qui se passait en Erythrée, pourquoi les gens se retrouvaient à Steenvoorde. On a discuté aimablement, le député Jean-Pierre Decool (UMP), est sensible au problème. Le maire, Jean-Pierre Bataille (UMP) aussi. On a créé une association, et on s'est tourné vers la commune. On voulait un terrain dont ils ne soient pas expulsés. Le maire a donné son accord et prêté un terrain communal. On a installé des tentes, quelque chose de provisoire. En dur, ce n'est pas possible.

Parce que ça ressemblerait à Sangatte?

C'est ce qu'on nous a dit. On nous a parlé d'appel d'air, de point de fixation. On nous a dit qu'on ferait le jeu des passeurs. Mais on fond, si on fait quelque chose, ils sont là, et si on ne fait rien, ils sont là aussi. Ce qu'on veut, c'est une vie décente pour ces gens, c'est une question de dignité.

Comment ça s'est passé?

On est allé à leur rencontre, c'était un samedi, il neigeait, ils étaient trempés sous une bâche plastique autour d'un petit feu. On les a hébergés toute la semaine dans la salle paroissiale. On acheté une tente de six mètres sur trois, et un petit chapiteau. On leur donne quelques denrées, du pain, des oignons, une dame a ramené des pommes. On leur a donné le matériel, et ils se font à manger. On est en train d'organiser un système pour laver les vêtements, et on a une infirmerie chauffée dans une salle paroissiale. Des pharmaciens donnent des médicaments, et des infirmiers et médecins volontaires vont intervenir. La grande demande des réfugiés, c'est de pouvoir se laver. On a mis en place un système de douche à la demande. On n'a pas dit "il y a une douche tous les mardis", par exemple, car on ne veut pas voir débarquer 60 personnes.

Vous restez très prudents.

On ne peut pas aider plus de 20 à 25 personnes. Au delà, on ne pourra pas y arriver. On a rencontré les responsables de la gendarmerie. Ils ont leur logique, légitime. On sait que quand ils auront des ordres d'intervenir, ils interviendront.

Vous demandez aux Erythréens faire en sorte que leur nombre ne dépasse pas 20 à 25?

Oui, et jusqu'ici, le message est passé. Car on est à la limite de ce qu'on peut faire. On sait qu'au delà, ça ne sera pas supporté par les autorités.

Comment réagissent les habitants?

Depuis qu'on a installé les tentes, on n'a eu aucune réaction hostile. Les gens donnent beaucoup pour le vestiaire. Des matelas, des couvertures, des habits. On nous dit "c'est bien ce que vous faites". Un fermier m'a dit "avec ce temps, on ne laisse même pas une bête dehors".

Recueilli par Haydée Sabéran