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Les ouvriers d’ArcelorMittal repus de leurs repos forcés


ECONOMIE- Ce lundi, il a «surveillé sa cheminée».«Il a fait un temps dégueulasse, je suis resté à la maison, j’ai rien pu faire.» Ce jour-là d’habitude, Jean-Jacques Fénard travaille. Quand il n’est pas en repos forcé, ce sont les cheminées des hauts fourneaux d’ArcelorMittal Dunkerque qu’il doit surveiller. Il est instrumentiste. «Ça veut pas dire que je fais du violon. Je régule la température, la pression…»

Depuis la rentrée, ArcelorMittal a sérieusement réduit sa production : - 50 %, tous sites confondus, selon la CFDT. A Dunkerque, la direction parle de - 30 %. Et les ouvriers sont encouragés à prendre leurs congés. Sur la plupart des gros sites, comme à Dunkerque, on a pour l’instant évité le chômage partiel. Pas pour longtemps. Mardi, au moment même où Sarkozy annonçait des mesures pour faciliter le chômage technique, la direction du groupe, sous la pression des syndicats, assurait qu’elle indemniserait ses employés à 70 % du salaire brut en cas de chômage partiel (mieux que les 50 % imposés). Une façon de prévenir qu’on n’y échappera pas : «C’est incontournable, même sur les sites de première ampleur», rapporte Edouard Martin, représentant CFDT. «Seule la conjoncture nous le dira, site par site», dit on au groupe. La direction convoque, aujourd’hui, un comité exceptionnel à Luxembourg. Au programme : un point sur un «plan d’économie».

«Chantage». Même s’il a pu être évité à Dunkerque, le chômage technique obsède les ouvriers. Et les congés plus ou moins contraints de décembre en ont l’avant-goût. Au boulot, ils ne voient que les équipes réduites, les outils arrêtés. Dans la salle du comité d’établissement, Jean-Jacques Fénard, syndiqué CGT, déroule son planning des semaines à venir devant ses collègues. «La semaine prochaine je travaille mardi, celle d’après seulement deux jours.» Un copain coupe : «Alors lui maintenant, il dit les jours travaillés, ça va plus vite !» Rires, et puis vite, plus rien. En vrai, on n’en mène pas large.«Je suis là depuis 1973, jure un délégué CGT. J’ai jamais vu une telle inquiétude. A chaque fois qu’on sort de réunion avec la direction, ils se jettent sur nous pour avoir des infos.»

La direction multiplie les incitations à poser tout ce qui peut se faire en congés (congés payés, RTT, récupération de journées de formation, etc.). Peu resistent. «C’est un peu le chantage : on nous répète que c’est ça où le chômage technique.»«On voit bien qu’ils arrêtent les outils les uns après les autres : l’atelier de broyage et le laminage en décembre, le haut fourneau…» «On nous supprime le café, on nous supprime le sucre, les photocopies sont rationnées.» Et pendant ce temps, «l’entreprise a fait un bénéfice de 9 milliards d’euros depuis le début de l’année !»

Pendant ses «repos forcés» de décembre, Jean-Jacques élaguera ses arbres. Sylvain se retrouvera avec ses deux enfants. Guillaume fera ses cartons (le loyer de 800 euros, c’est définitivement trop, surtout en ce moment). Le premier voit sa retraite s’éloigner : les années précédentes, il économisait des jours sur un compte épargne pour pouvoir partir plus tôt. Il n’a pas pu le faire en 2008. Le deuxième dit que les jours de congés, c’est autant de prime de «panier de nuit» en moins : ce mois-ci, une centaine d’euros de perdus. «Sur un salaire de 1 365 euros, ça se sent.» Le dernier ajoute : «L’avantage quand on travaille, c’est qu’on dépense moins. A rester à rien faire, on va sur eBay et on risque de craquer.»

«Chez ma mère». On parle du collègue qui s’est brûlé les jambes, la semaine dernière. «Tu parles, les gars ne sont pas bien dans leur tête, témoigne Sylvain, embauché chez Arcelor depuis sept ans. Moi quand je travaille, je pense à autre chose. Au mois de janvier : si on ne lamine pas, qu’est ce qu’on va faire?» Le chômage partiel, «avec mon salaire, le loyer de 560 euros, ça va être impossible, écarte-t-il d’emblée. J’ai bien tenté de trouver un deuxième emploi, mais avec la conjoncture…» Avec une indemnisation à 70 % de son brut, il touchera environ le Smic, à peine 1 100 euros. «Mais sur des salaires comme les nôtres, 200 à 300 euros de moins, c’est impossible à gérer ! Alors je vais faire quoi, retourner vivre chez ma mère avec ma femme et mes deux gosses ?»

Au même moment, à 120 kilomètres de là, Nicolas Sarkozy annonce vouloir permettre de prolonger les périodes de chômage technique de 600 à 800, voire 1 000 heures, et augmenter leur indemnisation. Les Arcelor réagissent : «Ça c’est sûr, le chômage technique, c’est mieux que le chômage tout court.» Sylvain plus sévère : «Et maintenant on va faire six semaines de chômage d’affilée ! Mais c’est le chat qui se mord la queue : la collectivité va m’assurer le Smic, mais c’est moi qui finance la collectivité…» Guillaume veut clore la conversation :«Moi je vis au jour le jour. Pour les mois, on verra plus tard.»

Sonya Faure