INTERVIEW - Ce n'est pas une peine, mais ça y ressemble fort. La loi sur la rétention de sûreté, votée en février, permet bientôt de placer en «rétention», sur avis de psychiatres et après décision de magistrats, un détenu qui aura terminé sa peine. Elle s'applique en 2023. Concernés : les détenus les plus dangereux, condamnés à 15 ans de prison minimum. Gaëlle Olivrot, juge d'application des peines à Douai, membre du syndicat de la magistrature, participe au débat, ce soir, après la projection du film Rétention de sûreté, une peine infinie, au cinéma l'Univers, à Lille. Elle explique pourquoi. INTERVIEW - Ce n'est pas une peine, mais ça y ressemble fort. La loi sur la rétention de sûreté, votée en février, permet bientôt de placer en «rétention», sur avis de psychiatres et après décision de magistrats, un détenu qui aura terminé sa peine. Elle s'applique en 2023. Concernés : les détenus les plus dangereux, condamnés à 15 ans de prison minimum. Gaëlle Olivrot, juge d'application des peines à Douai, membre du syndicat de la magistrature, participe au débat, ce soir, après la projection du film Rétention de sûreté, une peine infinie, au cinéma l'Univers, à Lille.
Pourquoi prendre la parole sur la rétention de sûreté?
Je suis signataire de l'appel à l'abolition de cette loi. Je pense qu'il faut faire passer le message. Cette loi, qui devrait être appliquée à partir de 2023 sur les premiers détenus qui auront terminé leur peine, me paraît difficilement applicable. Il faut rester en veille.
Est-ce qu'on peut dire que cette loi permet d'enfermer quelqu'un à vie, sans jugement?
C'est plus compliqué, il y a quand même une décision de justice, en amont. Quand la personne est condamnée par la cour d'assises, à une peine d'au moins 15 ans, la cour décide si sa situation doit être examinée en fin de peine. Si c'est le cas, à la fin de la peine, une commission composée de trois magistrats décide, sur la base d'une évaluation, passée par le filtre d'une expertise psychiatrique. On ne punit, pas ce n'est pas une peine, c'est une «mesure de sûreté».
Le résultat, c'est qu'on est enfermé quand même.
Oui.
Dans un hôpital ou une prison?
Dans un centre médico-socio-judiciaire. On annonce la création d'une structure ad-hoc à Fresnes. Son fonctionnement n'est pas encore clair.
Comment ça se passe?
Un an avant la sortie, on évalue la dangerosité du détenu. Il est placé pendant six semaines dans un service d'observation. Deux experts émettent un avis sur, je cite : «une éventuelle particulère dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive, parce qu'elle souffre d'un trouble grave de la personnalité». On confie cette mission à des psychiatres. Les psychiatres me semblent très réticents. Ils peuvent évaluer un trouble mental, qui relèverait alors d'une hospitalisation d'office. Mais une dangerosité criminologique, donc sociale? C'est une appréciation subjective, leur métier c'est la médecine, pas la boule de cristal. Le risque, c'est que les psychiatres soient tentés d'ouvrir le parapluie. Parce que s'il y a récidive alors qu'ils ne l'avaient pas prévu, on viendra les chercher.
On préfèrerait qu'un être dangereux soit empêché de nuire.
La question se pose. Certains assurent qu'ils vont commettre de nouveaux faits. On ne peut pas pondre une loi sur le sujet sans penser le système dans son entier. On peut se demander aussi dans quelle mesure le trouble de la personne ne s'agrave pas en prison. On nous parle de prise en charge médicale, sociale, psychiatrique. Pourquoi on ne fait pas ça avant la sortie?
On a les moyens?
Il y a une carence. A la maison d'arrêt de Douai, où je suis juge d'application des peines, il y a un psychologue et un demi-poste de psychiatre pour 650 à 700 détenus. On manque de travailleurs sociaux, de conseillers d'insertion et de probation. En début de peine, le juge d'application des peines a vocation à définir un parcours d'exécution de la peine individualisé. Très bien. Mais qu'est-ce qu'on met dedans? aujourd'hui, il n'y a pas assez de projets de sortie. Des gens sont libérés sans hébergement à la sortie, sans projet de travail. On est presque sûr de les revoir en prison, ne serait-ce que pour un vol alimentaire. Quand il y a des projets, le plus souvent, c'est qu'il y a une famille qui héberge, ou qui décroche un contrat de travail. On ne peut pas donner un contenu, donc un sens, à la peine, si les choses ne changent pas.
Et le suivi psychiatrique en prison?
On parle souvent de détenus qui refuseraient les soins. Globalement, ils sont en demande. Même si la première demande est parfois formulée parce qu'on souhaite une remise de peine. Sur le long terme, une demande authentique peut émerger.
Quelle question avez vous envie de poser au psychiatre qui sera là ce soir?
Je voudrais savoir s'il y a des thérapies envisageables pour les troubles de la personnalité.
Vous avez vu le film, comment est-il?
Didactique. Accessible à beaucoup, sans besoin de compétence technique particulière. C'est un débat citoyen, avant d'être un débat juridique ou judiciaire.
Recueilli par Haydée Sabéran
Photo Reuters : La prison de la Santé à Paris
CE SOIR - Rétention de sûreté, une peine infinie. Réalisé par Thomas Lacoste, produit par «La Bande Passante» et le Syndicat de la Magistrature. Ce soir à 20h Au Cinéma l'Univers, 16, rue Danton à Lille. En présence de Gaëlle Olivrot, juge d'application des Peines, de Pierre Delmas, président de «Prison Justice 59», et de Pierre Pareysis de l'Union Syndicale de la Psychiatrie