SOCIÉTÉ - Un mois après la tornade qui a dévasté quatre communes
du Nord, les habitants peinent, malgré les aides et l’élan de solidarité, à reconstruire la vie au quotidien.
SOCIÉTÉ - Un mois après la tornade qui a dévasté quatre communes
du Nord, les habitants peinent, malgré les aides et l’élan de solidarité, à reconstruire
«Tiens, le toit du voisin», dit Suzelle en ramassant une tuile rouge. La maison de sa mère à Hautmont n’a plus de toit, ni de garage, après la tornade d’il y a un mois. Rameutés par mail par Suzelle, ses collègues d’EDF, des électriciens et gaziers retraités, sont venus donner un coup de main. A quatre pattes dans l’herbe, ils rassemblent les débris. Plus loin, Daniel, retraité de la sidérurgie, taille une haie de lauriers. «On ne va pas rester à s’engraisser. Il faut bien bricoler un petit coup.» Toit bâché aussi. «Ça s’est très bien passé. Tout le monde venait voir si on avait besoin de quelque chose. Des repas chauds, du café, on a été gâtés. C’était très sympathique.» Marie-Thérèse : «Y a une omelette géante demain, on y va ?»
Des lits, des branches, des voitures, des maisons qui s’envolent, un bruit de locomotive, quelques secondes. La «mini-tornade» du 3 août a traversé quatre communes. Plus de 2 000 maisons touchées, 200 inhabitables, trois morts, un suicide juste après. Aujourd’hui gronde toujours le va-et-vient des camions militaires. On croise des gens en cravate, élus, assureurs. L’armée déblaie, les enfants reprennent l’école. Hautmont, Maubeuge, Boussières-sur-Sambre et Neuf-Mesnil ont le blues.
«Fernand, reste pas là»
Devant les mobile homes fournis à des sinistrés du quartier de l’Exotique à Hautmont, Fernand regarde le ciel. «C’est dingue, hein ?» Cet ancien maçon a été relogé ailleurs, mais il revient tous les jours dans son quartier, comme plein de gens. «J’ai cru que c’était un avion de ligne. J’ai vu arriver le truc dans les arbres, illuminé de l’intérieur.» Il montre les cimes coupées. «Clac, clac, une tondeuse à gazon géante. Ça sifflait, ma maison bougeait, comme un tremblement de terre, un bombardement. Me suis dit, "Fernand, reste pas là." J’ai pris la grand-mère et j’ai été me réfugier dans la salle de bains.» Sa maison, une HLM, va être abattue.
Etrange impression. Quand les sourires et les blagues s’arrêtent, les yeux repartent dans le vague, les regards s’éteignent. Comme si, après l’urgence des premières semaines, le ballet des caméras, des camions, des associations, il y avait de la place pour le vide. «Le réveil est lourd», dit le maire du village de Boussières-sur-Sambre, Claude Dupont. «Les gens sont énervés, ils se mettent à pleurer, ils sont perdus.» Au début, ils restaient devant leur maison. «Même le tas de briques, ça faisait un souvenir. Mais depuis que l’armée a commencé à déblayer, que le tas de briques a disparu, ça ne va plus. Ils s’aperçoivent qu’il faut tout recommencer à zéro.»
Anne, 32 ans, auxiliaire de puériculture, est venue à la mairie de Maubeuge chercher un cartable de fournitures scolaires, offert par l’hypermarché. Stanislas, 6 ans et demi, est collé à elle. «Les voisins nous ont prévenus qu’on n’avait plus de toit. Mon fils m’a demandé : "On n’a plus de maison ?"» L’enfant : «Je croyais que ma chambre s’était envolée avec tous mes jouets.» A Hautmont, une fillette de 7 ans enroule ses bras autour de sa mère Lydia. La petite pleurniche, veut un câlin, tape. Lydia, 37 ans, caissière : «J’ai une boule qui veut sortir. Ma fille se donne des coups de poing. Et elle s’est mise à faire pipi au lit.» Lydia est hébergée par des parents. «On n’a plus le droit de rentrer chez nous, il y a de l’eau sur les murs, le plafond s’est mis de travers. Rien à côté de mon frère, qui n’a plus de maison.» La nuit de la tornade, «on essayait de contrôler, mais il y a les nerfs qui explosent, les gens qui courent». La chienne a été ensevelie, puis retrouvée vivante, avant de mourir trois jours après. «Beaucoup de stress pour les enfants.»
A Hautmont et Maubeuge, on peut aller à la permanence psy. Moins simple dans les villages voisins, comme à Boussières-sur-Sambre. «Il nous faudrait une permanence, un jour par semaine», estime le maire. Relogé à une quinzaine de kilomètres d’Hautmont, Mohamed n’a pas eu trop le temps de s’occuper de ça. Sa fille de 13 ans s’est ouvert la cheville pendant la tornade, sa femme Cécile s’est cassé le bras. La petite de 8 ans, indemne comme lui, «tremblait tous les soirs à partir de 18 heures, au début. Elle reste avec nous pour s’endormir». A la permanence psy, on a confié à l’enfant un nounours appelé Georgette «pour qu’elle lui raconte ses malheurs».
Sylvie Couaillier, psychologue scolaire à Hautmont, a participé à la permanence bénévole dès les premiers jours. «On fait du porte-à-porte. Les gens disent "non, ça va, y a pire que nous". Et puis ils commencent à raconter, ils montrent où ils s’étaient cachés, ils s’écroulent en larmes.» Avant la rentrée, elle a briefé les enseignants. «On explique le traumatisme. Les enfants ont été stressés, comme dans toute situation de menace de mort ou sur l’intégrité physique. Pour un tiers d’entre eux, on est au-delà du stress.» Et dans ce tiers, une moitié très fragile. Chez les petits, il faudra détecter les pleurs, la peur, l’agressivité, le repli. Chez les collégiens, des maux de ventre, de tête, des envies de vomir. La consigne : observer, être «étayant», sans obliger l’enfant à s’exprimer, et conseiller le psy pour les plus fragiles.
Souvenirs envolés
A Maubeuge, Malika, 33 ans, sort de la mairie avec deux cartables remplis. Cadeau pour ses garçons. Cette travailleuse sociale n’a plus de toit. «On a été bien pris en main, on nous a recensés, conseillés. Bien.» Ils ont ramassé les débris, rangé, fait bâcher. «On entre dans une vie normale. C’est là qu’on a besoin d’un soutien psychologique. Y’a des retombées.» Le 3 août, elle a vu le vent retourner sa voiture, les objets voler et eu peur pour son mari, technicien de maintenance, qui devait rentrer à cette heure-là en voiture. Une chance, il avait du retard. Dehors, on marchait sur les tuiles, fenêtres explosées, le vélo du petit trois maisons plus loin. «Rien que la tornade, c’était déjà trop.» Alors le reste… Au bout de deux semaines, l’expert de la compagnie d’assurances est passé. «On avait peur qu’il prenne en compte le coefficient de vétusté pour l’évaluation des dommages. Cela aurait fait 20 à 30 % de notre poche sur les 80 000 euros que va coûter le toit. Pendant quinze jours, une boule au ventre.» L’expert a été clément. Faute d’artisans libres, le toit ne sera pas refait avant un an. Il pleut dans le grenier. «On va passer l’hiver comme ça. Et s’il y a encore des tempêtes ?» Trois jours après la tornade, une nuit de grand vent, elle réveille enfants et mari, tout le monde à la cave. «C’est irrationnel, je sais. Mais j’irai mieux quand mon toit sera réparé.» Il y a quelques jours, elle s’endort sur l’autoroute avec les deux enfants derrière. «J’ai pas vu venir la fatigue, ça ne me ressemble pas.» Les yeux s’embuent. Sa cousine a dû être hospitalisée quelques jours. «On lui disait "t’es assurée, t’es vivante, tes enfants vont bien". Elle, pensait aux albums photos envolés, à la vidéo du mariage, au premier pyjama du bébé.»
Saïd Lalami, directeur d’école à Hautmont, a cru perdu le portrait de son père. «On a cherché une journée, tout soulevé, on l’a retrouvé dans le terrain du voisin. On en a pleuré. Ma mère a perdu son or, on s’en fout. Mais ça… Mon père travaillait au fond de la mine, il a terminé sa vie sous assistance respiratoire, pendant quinze ans. La maison, c’est lui qui l’a construite. La tornade, c’était comme si on l’enterrait une deuxième fois.» Il a fait venir un psychologue pour sa mère. «Même si elle est super-bien entourée, même si on l’embrasse tous les jours, il lui fallait quelqu’un de neutre.» C’est plus dur pour les plus fragiles. «La tornade a amplifié les détresses individuelles. Des gens seuls dans leur coin depuis longtemps, des situations que nous ne connaissions pas, raconte l’adjointe à la cohésion sociale de Maubeuge, Jacqueline Brard. La catastrophe a bouleversé le fragile équilibre de certaines personnes âgées. Des gens qui refusent qu’on entre chez eux. Il faut les apprivoiser.» Maubeuge, c’est 20 % de chômage, Hautmont, 12 %.
Corinne, 36 ans, au RMI, avec deux enfants, s’énerve : «Ça va pas du tout, j’en ai ras le bol». On l’a relogée à Bavay, à 10 kilomètres de chez elle. «On me propose Fourmies, Jeumont. Ou une ruine à la cité de transit. Mon fils va au collège ici, le premier bus de Bavay arrive à 9 h 30. Ce que je veux, c’est un toit ici.» Pour ceux qui vont travailler en voiture, la mairie d’Hautmont a reçu une douzaine de véhicules, offerts par des particuliers. Mohamed habitait les maisons HLM du quartier dévasté de l’Exotique. Plus de maison, voiture aplatie. Il a repris vendredi son boulot, avec une voiture d’occasion. «C’est un don. Dans mon malheur, j’ai de la chance.»
Concerts et match
L’association Solidarité Avesnois, montée par les Nordistes Dany Boon, Jean-Marie Leblanc et l’avocat lillois Emmanuel Riglaire, a recueilli 180 000 euros, dont 100 000 du cinéaste Claude Berri. Le but : doubler la prime de rentrée scolaire, et verser un treizième mois à ceux qui touchent l’allocation adulte handicapé ou le minimum vieillesse. La CAF est d’accord. Samedi, l’association parrainera le match Valenciennes-Lens au profit des sinistrés, entre 10 et 100 euros la place. Coup d’envoi, Dany Boon. Concerts à l’automne à Maubeuge et à Lille. L’association des maires de France, elle, a ramassé 2,5 millions d’euros de dons, ils seront reversés aux centres d’action sociale.
Parmi les ruines du quartier de l’Exotique se dresse une maison dévastée, pans de murs écroulés, laine de verre béante, mais les cinq occupants, le père, Mahana, ancien ouvrier dans l’industrie chimique, et ses quatre grands fils, sont indemnes. Dans le minuscule salon du mobile home, ils racontent. La mère, Fatma, était en vacances au Maroc. Si elle s’était trouvée dans son lit, elle aurait été écrasée par un mur. Le père regardait la télé, c’est une fringale qui l’a sauvé. «Je me suis levé pour aller manger du fromage. D’un seul coup, le vent a cassé la fenêtre de la cuisine, comme de la semoule sur ma tête.» C’était quel fromage ? «Du camembert», rigole le père. Sa femme le charrie : «Et la tartine, tu l’as lâchée ou tu l’as mangée ?» Après l’ouragan, la tartine était sur la table, mais il n’y avait plus de salon. Les premiers jours, Fatma ne parlait presque plus, et ne souriait pas. Là, elle plaisante et s’affaire dans la kitchenette pour servir les hôtes. «Ça va mieux grâce aux amis.» Elle a fait installer le mobile home devant sa maison détruite. «Je pourrai la voir reconstruire.»
Haydée Sabéran
Photo Aimée Thirion