ECONOMIE- «Pourquoi je suis à la Poste ? Mais parce que ceux qui touchent des prestations sociales n’ont le droit que d’aller là. On se fait jeter de partout quand on touche le RMI.» Devant les guichets automatiques de la poste d’Hellemmes, un quartier populaire de Lille, la question amuse Angelina.Les 5 et 6 du mois, les jours où le RMI tombe sur les comptes, c’est devenu une habitude, c’est la queue aux guichets. La Poste ne ménage pas ses efforts pour essayer d’éradiquer cette attente.
Litiges. A Hellemmes, pour un meilleur flux, un agent accueille et oriente les clients. Et désormais, les guichetiers n’ont plus le droit de remplir les formulaires à la place des gens qui ne savent ni lire ni écrire. Par crainte des litiges, d’après la direction ; pour gagner du temps à chaque opération, selon la CGT. «Nous les envoyons à la mairie, explique un agent, normalement, il y a une personne disponible au service social pour les aider.» Cette nouveauté a créé un incident à Tourcoing : «Une guichetière s’est fait agresser, explique David Dubelloy, responsable syndical CGT, elle s’est retrouvée devant un jeune homme qui lui a demandé de l’aide, et elle a dit qu’elle ne pouvait plus. Celui-ci s’est mis en colère, et il l’a giflée. C’était un jour d’allocations, ce garçon s’est senti rabaissé que tout le monde voit qu’il était illettré. Avant, on ne s’en rendait pas compte.»
Pour lui, l’érosion de la notion de service public a déjà commencé, avant même l’annonce, en début de semaine par Jean-Paul Bailly, le président de la Poste, de la cession de 10 à 20 % du capital de l’entreprise. «La Poste incite les gens à ouvrir un compte courant, qui a des frais de tenue de compte, plutôt que de garder leur Livret A, qui ne coûte rien. Pour moi, le service public, c’est garantir une banque pour tous.»
David Dubelloy est fier de servir les plus démunis : «Ce n’est pas une population difficile, malgré quelques incivilités. Ils parlent plus facilement, on prend connaissance de leur vie, des liens se créent. Mais c’est sûr que ce public-là n’est pas rentable, ce n’est pas avec lui qu’on va faire des placements : à chaque début de mois, les gens retirent tout ce qu’ils ont sur le compte, ils ne laissent pas un euro !»
Aux guichets automatiques d’Hellemmes, c’est vrai, les gens demandent systématiquement leur relevé de compte, un coup d’œil au montant restant, avant de retirer ou pas. Un jeune homme s’énerve tout seul - «j’comprends pas ce qui se passe» -, et il part, rageur, sans argent. Bachir apprécie la précision de la Poste : «A chaque opération, ils m’envoient un relevé, alors que dans mon ancienne banque il y avait toujours quinze jours de décalage pour savoir les mouvements sur le compte. Et puis il n’y a pas beaucoup de frais à la Poste. Cela compte pour moi : après trente-huit ans de travail, j’ai dû entrer en maladie longue durée, le budget est serré.»Mehdi : «Moi, je suis interdit bancaire, je ne peux pas ouvrir un compte ailleurs. Et puis, c’est pratique, je peux envoyer facilement des virements au Maroc.»
Privatisation. Alors, on l’aime, la Banque postale ? Elle fait râler tout de même, toujours sur les mêmes thèmes : «Il y a la queue, et quand je dépose un chèque, il faut attendre quinze jours pour qu’il soit encaissé», résume Alice. Mais Bachir l’aime comme elle est : «Si elle est privatisée, elle deviendra une banque ordinaire.» Dimitri ne voit pas de mal à la privatisation : «Faut bien qu’elle marche, comme toutes les banques.»
Stéphanie Maurice