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«Dans une maison d’arrêt surpeuplée, même Gandhi pèterait les plombs»


SOCIETE - Le projet de loi pénitentiaire? «L'inverse de ce qu'il faudrait faire». Rencontre avec Gabriel Mouesca, président de l'Observatoire international des prisons, en visite à Lille demain, pour un débat autour du film «Prisons, la honte de la République».

Vous êtes à Lille demain pour débattre autour du documentaire sur les prisons diffusé sur Canal+ en 2006. Demain, 13 juin 2008, c’est la date à laquelle les cellules individuelles auraient du être généralisées en France.

Gabriel Mouesca : C'était la date butoir officielle. Les détenus, dans les centres de détention et les maisons centrales, en bénéficient déjà. Pas les prévenus, en attente de leur jugement, dans les maisons d'arrêt dont certaines, comme celle de Béthune atteignent un taux d'occupation de 200%.  Rachida Dati avait annoncé il y a quelques jours un décret qui garantirait l'encellulement individuel pour les prévenus qui le demandent. C’était un mensonge d'Etat : la loi pénitentiaire rendue publique par la presse nous apprend que c'est encore reporté à cinq ans.

Il y a un problème de place.

Pas si on sort les 27% de prévenus qui saturent les prisons aujourd'hui. Ils ne présentent pas un danger potentiel. Ils peuvent porter un bracelet électronique ou bénéficier d'un suivi socio-judiciaire en attente de leur jugement.

La loi prévoit d'étendre étendre le port du bracelet électronique.

C'est un effet d'annonce auquel on nous a habitués. Les moyens matériels et humains ne suivent pas. Il manque des éducateurs, des psychiatres, des médecins. Et on ne voit rien venir.

Il y a quelque chose de bon dans cette loi pénitentiaire?

Sur les aménagements de peine, il faut que le Parlement s'en saisisse, ça reste à améliorer. Pour le reste, c'est l'inverse de ce qu'il fallait faire. Cette loi tourne le dos aux travaux de la commission Canivet, de la Commission consultative sur les droits de l'Homme, et des Etats généraux de la condition pénitentiaire. C'est une loi qui consacre la prison d'aujourd'hui. Je rappelle que la première mission de la prison c’est la réinsertion. Or ce qui prime ici, ce sont les considérations liées à l’ordre et à la sécurité. Nous devons passer à une prison républicaine, respectueuse des droits de l’Homme.

Par exemple?

Un exemple de ce qui me choque dans la loi : le mitard passe de 45 à 21 jours, mais reste à 40 jours pour les atteintes au personnel. Dans les mitards, on se suicide sept fois plus qu’en prison. Et en prison, on se suicide plus qu’à l’extérieur. Ce simple chiffre devrait suffire à abolir le mitard. C’est un outil cruel, barbare. On est dans 9 mètres carrés, sans activité collective, pas même la messe. Aucun contact avec le genre humain, à part trois ou quatre surveillants. Une plongée dans le désespoir qui pousse les gens à passer à l’acte.

Vous êtes optimiste sur les aménagements de peine, alternatives à l’incarcération ?

On demande à voir. Il faut que les moyens soient donnés. Pour l’instant la tendance lourde est à l’incarcération, or ça doit être l’ultime recours. Je ne tape pas sur la magistrature qui subit le contrecoup de la politique pénale. Ils sont dans un travail d’abattage, et c’est plus simple d’incarcérer que de voir si on peut trouver un travail d’intérêt général ou s’il y a une possibilité de suivi socio-judiciaire. Les conseillers d’insertion et de probation nous disent qu’on leur charge de plus en plus la besace, et ils n’ont pas plus de collègues. Il faudrait qu’ils soient facilement le double. Il est pourtant évident que les alternatives à l’incarcération sont utiles. En appliquant la libération conditionnelle systématique, la Suède a fait baisser la récidive de 50%.

L’état des lieux de la prison aujourd’hui, raconte le film, c’est la violence, la surpopulation.

L’un est lié à l’autre. Mettez Gandhi dans une maison d’arrêt surpeuplée, il pèterait les plombs. Ajoutez à cela des gens qui ont des problèmes psychologiques, voire psychiatriques lourds.

Et l’accès aux soins ?

Depuis 1994 la santé des détenus dépend du ministère de la Santé, et non plus du ministère de la Justice. C’est le seul changement notable depuis 25 ans, et le seul domaine sur lequel la France est exemplaire. Les textes sont bien faits, mais la surpopulation, et le manque de personnel soignant, font qu’on a peu de temps pour soigner.

La préparation à la sortie ?

On nous vend une prison qui n’existe pas. La prison ne prépare pas à la sortie. Pour vivre, survivre, rester debout en prison, il faut muscler les plus mauvais ressorts de notre humanité : la violence, le mensonge, le rapport de force.  Au quotidien, c’est un lieu qui déresponsabilise. Même si vous avez 80 ans, vous êtes considéré comme un mineur. Tout ça ne prépare pas à être dans une dynamique de respect, de fraternité, de respect de la loi. Par ailleurs, la prison, c’est 80% de sorties sèches, des sorties qui n’ont pas été préparées, sans qu’on sache si les gens ont les moyens –légaux- de vivre. Cela en fait des récidivistes potentiels, à court terme. C’est une responsabilité de l’administration pénitentiaire, elle n’est pas assez soulignée.

Recueilli par Haydée Sabéran

Prisons : la honte de la République, film de Bernard George (75'). 13 juin, 18h30 à la mairie de quartier de Wazemmes, salle Philippe Noiret. Projection suivie d’un débat avec Gabriel Mouesca, président de l’Observatoire international des prisons. Entrée libre.
SOCIETE - Le projet de loi pénitentiaire? «L'inverse de ce qu'il faudrait faire». Rencontre avec Gabriel Mouesca, président de l'Observatoire international des prisons, en visite à Lille demain, pour un débat autour du film «Prisons, la honte de la République».

Vous êtes à Lille demain pour débattre autour du documentaire sur les prisons diffusé sur Canal+ en 2006. Demain, 13 juin 2008, c’est la date à laquelle les cellules individuelles auraient du être généralisées en France.

Gabriel Mouesca : C'était la date butoir officielle. Les détenus, dans les centres de détention et les maisons centrales, en bénéficient déjà. Pas les prévenus, en attente de leur jugement, dans les maisons d'arrêt dont certaines, comme celle de Béthune atteignent un taux d'occupation de 200%.  Rachida Dati avait annoncé il y a quelques jours un décret qui garantirait l'encellulement individuel pour les prévenus qui le demandent. C’était un mensonge d'Etat : la loi pénitentiaire rendue publique par la presse nous apprend que c'est encore reporté à cinq ans.

Il y a un problème de place.

Pas si on sort les 27% de prévenus qui saturent les prisons aujourd'hui. Ils ne présentent pas un danger potentiel. Ils peuvent porter un bracelet électronique ou bénéficier d'un suivi socio-judiciaire en attente de leur jugement.

La loi prévoit d'étendre étendre le port du bracelet électronique.

C'est un effet d'annonce auquel on nous a habitués. Les moyens matériels et humains ne suivent pas. Il manque des éducateurs, des psychiatres, des médecins. Et on ne voit rien venir.

Il y a quelque chose de bon dans cette loi pénitentiaire?

Sur les aménagements de peine, il faut que le Parlement s'en saisisse, ça reste à améliorer. Pour le reste, c'est l'inverse de ce qu'il fallait faire. Cette loi tourne le dos aux travaux de la commission Canivet, de la Commission consultative sur les droits de l'Homme, et des Etats généraux de la condition pénitentiaire. C'est une loi qui consacre la prison d'aujourd'hui. Je rappelle que la première mission de la prison c’est la réinsertion. Or ce qui prime ici, ce sont les considérations liées à l’ordre et à la sécurité. Nous devons passer à une prison républicaine, respectueuse des droits de l’Homme.

Par exemple?

Un exemple de ce qui me choque dans la loi : le mitard passe de 45 à 21 jours, mais reste à 40 jours pour les atteintes au personnel. Dans les mitards, on se suicide sept fois plus qu’en prison. Et en prison, on se suicide plus qu’à l’extérieur. Ce simple chiffre devrait suffire à abolir le mitard. C’est un outil cruel, barbare. On est dans 9 mètres carrés, sans activité collective, pas même la messe. Aucun contact avec le genre humain, à part trois ou quatre surveillants. Une plongée dans le désespoir qui pousse les gens à passer à l’acte.

Vous êtes optimiste sur les aménagements de peine, alternatives à l’incarcération ?

On demande à voir. Il faut que les moyens soient donnés. Pour l’instant la tendance lourde est à l’incarcération, or ça doit être l’ultime recours. Je ne tape pas sur la magistrature qui subit le contrecoup de la politique pénale. Ils sont dans un travail d’abattage, et c’est plus simple d’incarcérer que de voir si on peut trouver un travail d’intérêt général ou s’il y a une possibilité de suivi socio-judiciaire. Les conseillers d’insertion et de probation nous disent qu’on leur charge de plus en plus la besace, et ils n’ont pas plus de collègues. Il faudrait qu’ils soient facilement le double. Il est pourtant évident que les alternatives à l’incarcération sont utiles. En appliquant la libération conditionnelle systématique, la Suède a fait baisser la récidive de 50%.

L’état des lieux de la prison aujourd’hui, raconte le film, c’est la violence, la surpopulation.

L’un est lié à l’autre. Mettez Gandhi dans une maison d’arrêt surpeuplée, il pèterait les plombs. Ajoutez à cela des gens qui ont des problèmes psychologiques, voire psychiatriques lourds.

Et l’accès aux soins ?

Depuis 1994 la santé des détenus dépend du ministère de la Santé, et non plus du ministère de la Justice. C’est le seul changement notable depuis 25 ans, et le seul domaine sur lequel la France est exemplaire. Les textes sont bien faits, mais la surpopulation, et le manque de personnel soignant, font qu’on a peu de temps pour soigner.

La préparation à la sortie ?

On nous vend une prison qui n’existe pas. La prison ne prépare pas à la sortie. Pour vivre, survivre, rester debout en prison, il faut muscler les plus mauvais ressorts de notre humanité : la violence, le mensonge, le rapport de force.  Au quotidien, c’est un lieu qui déresponsabilise. Même si vous avez 80 ans, vous êtes considéré comme un mineur. Tout ça ne prépare pas à être dans une dynamique de respect, de fraternité, de respect de la loi. Par ailleurs, la prison, c’est 80% de sorties sèches, des sorties qui n’ont pas été préparées, sans qu’on sache si les gens ont les moyens –légaux- de vivre. Cela en fait des récidivistes potentiels, à court terme. C’est une responsabilité de l’administration pénitentiaire, elle n’est pas assez soulignée.

Recueilli par Haydée Sabéran

Prisons : la honte de la République, film de Bernard George (75'). 13 juin, 18h30 à la mairie de quartier de Wazemmes, salle Philippe Noiret. Projection suivie d’un débat avec Gabriel Mouesca, président de l’Observatoire international des prisons. Entrée libre.