SOCIÉTÉ - Le lycée privé musulman Averroès, à Lille, signe cette semaine un contrat d'association avec l'Etat. Ce qui veut dire que le corps enseignant sera rémunéré par l'Etat, et non plus par les fidèles. A l'intérieur, c'est comment? Témoignage nostalgique d'un ancien du lycée. SOCIÉTÉ - Le lycée privé musulman Averroès, à Lille, signe cette semaine un contrat d'association avec l'Etat. Ce qui veut dire que le corps enseignant sera rémunéré par l'Etat, et non plus par les fidèles. A l'intérieur, c'est comment? Témoignage nostalgique
Morad, 21 ans, ancien élève du Lycée musulman Averroès, en BTS d'informatique au Lycée Gaston
Berger de Lille : «Avant, j'allais au Lycée Queneau de Villeneuve
d'Ascq. J'ai choisi le privé parce que je voulais que les questions
spirituelles entrent dans ma vie, et puis je voulais vraiment avoir ce
bac, j'avais déjà redoublé deux fois. Je suis allé aux portes ouvertes,
j'en ai parlé à mes parents, ils ont dit d'accord.
A Averroès, j'ai trouvé l'état d'esprit des profs différent. Dans mon
ancien lycée, les profs faisaient cours, et c'était tout. A Averroès,
ils avaient plus d'affinités avec les élèves. C'était chaleureux.
Pendant la récréation, ils restaient avec les élèves qui avaient besoin
d'aide. Ils donnaient des cours de soutien pendant les vacances. Il y
avait une prof de philo dont j'adorais les cours, une passionnée, qui
venait en plus de Dunkerque le dimanche matin pour déposer ses enfants
au cours d'arabe, et qui en profitait pour faire du soutien en plus. Le
contrat d'association obtenu avec l'Etat, on peut vraiment dire que
c'est au travail des professeurs que le lycée le doit.
«La religion? Que vous priiez ou pas c'est la même chose. Personne ne vous dit "va prier", il y a une liberté de culte. Il y a plein de gens qui ne pratiquent pas. Il y a quatre ou cinq filles qui ne portent pas le voile, et ça ne pose pas problème. Les cours sur l'islam, au début, ils n'étaient pas passionnants, parce que le prof n'était pas très pédagogue, et puis on a eu le théologien Hassan Iquioussen (lire ci-dessous, ndlr), et là, c'était formidable. Parfois, il nous laissait voter pour choisir le sujet, le mariage, la mort, les anges. Il y avait une certaine présence de foi dans ma vie, qui s'est réduite, et qui me manque. Maintenant, je vais dans ma chambre, je lis le coran (en français, ndlr). Mais c'est plus difficile de vivre sa foi.
«L'inconvénient, c'est que le lycée est petit. Vous voyez toujours les mêmes têtes, pendant un an, deux ans. Et puis la cour est minuscule, on ne pouvait pas sortir pendant la récréation, pour des questions d'assurance. On s'y sentait à l'étroit. Le fait que ça soit dans une mosquée, ce n'est pas très pratique, il faudrait qu'il déménage. J'ai trouvé dommage que notre proviseure, Mme Sylvie Taleb-Duchemin, soit remplacée par un homme. C'est quelqu'un que j'appréciais, et j'appréciais aussi l'image d'équité entre hommes et femmes que ça montre, une femme proviseur.
«L'autre inconvénient, c'est que ça n'a pas été facile d'être un ancien élève du lycée musulman, quand j'ai passé l'entretien du BTS technique de commercialisation à Roubaix. Ils me posaient plus de questions sur le lycée que sur mes connaissances. Ils voulaient savoir pourquoi j'avais choisi un lycée musulman. On ne demande pas à un catholique pourquoi il va dans un lycée catholique. Ils me demandaient si les profs qui n'avaient pas de nom arabe étaient des convertis. Heureusement, j'ai passé un autre entretien, pour un BTS informatique à Gaston Berger. Ça s'est franchement bien passé. Magnifique. Ils ne m'ont rien demandé de ce genre, du coup, comme je n'avais pas envie d'aller à la fac, j'ai choisi l'informatique. Si je mettrai mon enfant au lycée musulman? Dans un lycée musulman, j'aimerais bien. Dans celui-là? Peut-être»
Recueilli par Haydée Sabéran
BIENTÔT SIGNÉ - Le contrat entre l'Association Averroès, présidée par Amar Lasfar, imam de la mosquée de Lille-Sud, et l'Etat n'attend plus que la signature du Préfet, «dans la semaine», selon le directeur de cabinet du recteur, Philippe Fatras. «L'association nous a fait parvenir une demande de mise sous contrat, après cinq ans hors contrat. Nous avons dépêché une équipe d'inspecteurs, qui a regardé de très près la qualité de l'équipe pédagogique, le contenu de l'enseignement, le niveau des élèves». Selon la direction du lycée Averroès, la première promotion de bacheliers a obtenu 75% de réussite, et la seconde, 86%. «Dès l'ouverture, en 2003, nous nous étions mis dans la peau d'un établissement sous contrat», indique Amar Lasfar. Les enseignants étaient rémunérés par les dons des fidèles «environ un millier, plutôt des gens de la région, insiste Amar Lasfar, des prélèvements automatiques de 10, ou 15 euros en général». La scolarité coûte 750 euros, les frais ne baisseront pas.
PRÉDICATEUR POLÉMIQUE - Hassan Iquioussen, membre de l'Union des organisations islamiques de France, et prédicateur de la mosquée d'Escaudain, dans le Nord, a enregistré une conférence-vidéo sur la Palestine, dans laquelle il tient des propos diffamatoires sur les juifs (lire ci-dessous), en 2004. Une polémique «ancienne» indique Amar Lasfar, «c'est une affaire close, car M. Iquioussen a présenté ses excuses et s'est expliqué sur ce dérapage. Il a d'ailleurs enseigné après cela au Lycée Averroès car c'est quelqu'un qui maîtrise bien son sujet». Hassan Iquioussen n'est plus enseignant à Averroès, «par manque de disponibilité», indique le recteur de la mosquée de Lille. Hassan Iquioussen a reconnu, dans un entretien à l'AFP le 29 octobre 2004, avoir tenu des propos «déplacés», ajoutant «l'antisémitisme est une horreur». Dominique de Villepin, ministre de l'Intérieur à l'époque avait qualifié ces propos d'«inacceptables». On a demandé ce matin au rectorat de Lille s'il avait tenu de l'Affaire Iquioussen avant de donner un avis favorable à la signature du contrat d'association avec le lycée Averroès. On attend la réponse.
H.S.
ARCHIVES
Article de Catherine Coroller, paru le 29 octobre 2004
La justice va examiner les faits reprochés au prédicateur
Pour avoir tenu des propos antisémites, Hassan Iquioussen, prédicateur proche de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), risque de gros ennuis judiciaires. Lors d'une conférence, il avait dressé un portrait des juifs «avares, ingrats» «qui ont toujours méprisé les êtres humains». «Ils ne veulent pas se mélanger aux autres, qu'ils considèrent comme des esclaves.» Le Figaro a publié hier une partie de ces propos.
Dans un premier temps, les autorités françaises ont pensé que le jeune homme, très apprécié des jeunes musulmans, qui est né en France, était français, ce qui le rendait inexpulsable. Il s'avère en fait qu'il est marocain et a refusé la nationalité française. Dès lors, il risque l'expulsion. Mais Hassan Iquioussen aurait tenu les propos controversés il y a deux ans, et les faits seraient donc prescrits. Le ministère de Justice s'est néanmoins saisi de l'affaire à la demande du ministre de l'Intérieur.
La cassette de la conférence incriminée était commercialisée par les éditions Tawhid, proches de l'intellectuel Tariq Ramadan. Hier, elle avait disparu du catalogue de l'éditeur. Hassan Iquioussen a déclaré à Libération n'avoir aucun souvenir de ces propos, mais s'est déclaré prêt à s'excuser s'il avait la preuve d'avoir effectivement tenu un tel discours.
Du côté des responsables communautaires juifs, on jouait l'apaisement. Hier, Fouad Aloui, le secrétaire général de l'UOIF, a reconnu sur France 2 qu'Hassan Iquioussen avait commis un dérapage grave mais s'est refusé à l'incriminer plus avant.
C.C.