JUSTICE - On jugeait les Robin des bois du yaourt vendredi, à Douai. L’histoire commence quelques jours avant Noël 2004. Sept paysans du Nord prennent d’assaut Nestlé. Une attaque en douceur à l’usine de Cuincy, près de Douai. Ils lèvent la barrière de sécurité, se dirigent vers le hangar des yaourts prêts à partir. Ils remplissent en dix minutes leurs voitures de profiteroles, de yaourts aux myrtilles et de desserts à la vanille, et filent sur l’autoroute vers le quartier populaire lillois du faubourg de Béthune. Là, ils distribuent leur butin aux pieds des barres d’immeubles, et leurs tracts signés Confédération paysanne. Ce qu’ils disent ? Que c’est «le pot de terre contre le pot de fer».
Qu’ils sont pris à la gorge par un prix du lait trop bas, et prennent à témoin le consommateur : «même quand les prix du lait sont bas, les yaourts sont chers. Par contre, quand nos prix montent, là, la grande distribution le répercute sur le consommateur», résume Antoine Jean, éleveur, devant le tribunal correctionnel de Douai. A ses côtés, Jean-Michel Sauvage, Elisabeth Darras-Ternoy, Gabriel Dewalle, Patrick Lallier, Bernard Coquelle, Hubert Caron.
Touffe. Corps rudes, mains raides, ils racontent, se décrivent, «père de famille», «mère de famille», «syndicaliste», même «chrétien» dit Bernard Coquelle, un grand sec sous sa touffe de cheveux noirs. «En tant qu’homme et en tant que chrétien, je n’accepte pas que la richesse aille toujours dans la poche des mêmes.» Elisabeth Darras : «Ça fait trente-deux ans qu’on livre du lait à Cuincy. Avant ça s’appelait La Roche aux fées, Chambourcy, maintenant Lactalis-Nestlé. Eleveur, c’est tous les jours, dimanche, Noël, 15 août. Ce matin, avant de venir, j’ai trait quarante vaches. Et ce soir quand je vais rentrer, je vais les traire aussi. Quand les prix baissent, on a deux solutions, soit on baisse les bras et on arrête. Soit on se révolte.» Le président la regarde en silence. «Ma ferme m’a permis de vivre et d’élever mes enfants. J’aimerais pouvoir la transmettre à quelqu’un.» Elle gagne 1 040 euros par mois.
Patrick Lallier vit sur le salaire de sa femme infirmière. Un autre gagne 700 euros par mois. A l’époque, les éleveurs vendaient leur lait 28,5 centimes le litre, contre 31 trois ans plus tôt. Ce n’est pas Nestlé qui fixe le prix, mais une commission dans laquelle la Confédération paysanne ne siège pas. Jean-Michel Sauvage : «Si les pots de terre s’unissaient, on pourrait vivre de notre travail.» A l’époque, il était le porte-parole régional de la confédération. Producteur de porc, il montre des barquettes de lardons achetées à Leclerc. «Le lard, je le vends à 2 euros le kilo à Caby, filiale de Nestlé. Leclerc le vend à 9,60. J’estime que 5 à 6 euros vont dans la poche des actionnaires.»
«On s’est pas levé un matin en disant "On va aller voler Nestlé"», dit Gaby Dewalle. Avant, il y a eu des blocages de site. Il est même allé à Vevey, en Suisse, au siège : «Les vigiles m’ont blessé les mains à coups de matraque, j’aurais dû le faire constater par un docteur.» Est-ce du vol ?«On a prélevé des yaourts, et on les a emmenés sur Lille. C’était symbolique.» Le président du tribunal : «Dans le coffre, il n’y a pas des symboles de yaourt...» Hubert Caron insiste : «C’était l’équivalent de ce que Nestlé avait volé à un éleveur, sur un an. C’est tout petit.» Il ajoute : «Liliane Bettencourt, de L’Oréal, a 5 % des parts de Nestlé. En dividende, c’est 70 millions d’euros par an. Voilà les voleurs.»
Frais d’avocat. La Confédération paysanne évalue à 2 000 euros le préjudice. Nestlé réclame 5 000 euros pour les yaourts, 5 000 pour la désorganisation de l’usine. Et le paiement des frais d’avocat. Me Emmanuel Riglaire, pour la Confédération paysanne, demande la relaxe, au motif que les «voleurs» ne se sont pas enrichis. La procureure a requis la relaxe pour Jean-Michel Sauvage qui n'est pas entré dans l'usine et n'a pas distribué les yaourts. Et pour les autres 1 000 euros d’amende. Jugement le 30 mai.
Haydée Sabéran
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