ÉCO-TERRE - «Je suis entrée, je me suis assise, j’ai dit que je n’ai pas une belle vie.» C’était jeudi à La Redoute, sur le site de la Martinoire, près de Roubaix, où 2 000 salariés font partir tous les colis de l’enseigne. Virginie, emballeuse de 33 ans, dont quinze à La Redoute pour 990 euros nets par mois, a interrompu la réunion de négociation salariale, avec d’autres grévistes.
Une «entrée fracassante», dit-elle, sous les yeux de la direction des ressources humaines. «J’ai expliqué que moi aussi j’aimerais partir en vacances. Que je voulais faire des projets. Que j’aimerais bien ne pas être à découvert tous les mois. Ils ne nous regardaient pas dans les yeux. Ils s’en foutent. Après, ils nous disent que la Redoute va mal. Mais s’il y a de la pub à la télé, c’est que la boîte marche. On est sensés, on voit les choses.» Hier, Virginie a bloqué la «gare» d’où des wagonnets, remplis de maillots, de nappes, de robes, partent vers les ateliers d’emballage. La gare de La Redoute est restée bloquée plusieurs heures, hier. Impossible, entre 10 heures et midi, de remplir les camions verts siglés «24 heures chrono» qui partent dans toute la France. Retard comblé l’après-midi même, selon la direction.
Vacances. Depuis bientôt une semaine à La Redoute, c’est la grève pour gagner plus. Grève partielle ou totale, pour environ la moitié de l’effectif, selon l’intersyndicale, qui n’a pas pu donner de chiffre précis lundi. «C’est le premier jour des vacances de Pâques, certaines mères de famille ont posé leurs congés. La semaine dernière, au plus fort de la grève, nous étions 900, dont 200 en grève totale», indique Jean-Christophe Leroy, délégué CGT. Certains petits salaires ne font grève qu’une à trois heures pour ne pas perdre trop. La direction, elle, a compté 100 grévistes hier et 400 vendredi. Ce qu’ils demandent ? 150 euros de plus par mois pour tous les ouvriers, l’embauche de 300 intérimaires, et le paiement des jours de grève.
Invivable. La direction accorde 1,2 % d’augmentation, avec un plancher de 18 euros mensuels pour les très bas salaires, une revalorisation de la mutuelle, des tickets restaurant, le paiement de certains jours de récupération, et des augmentations individuelles, soit «2,4 % au total». Les cadres, eux, bénéficient d’une enveloppe globale de 2,5 %. La direction accepte aussi d’embaucher «30 à 40 intérimaires». «Je suis un peu mieux lotie que certaines filles qui sont à 850 euros par mois», estime Virginie, qui a annoncé dans cette réunion improvisée la vente de sa maison. «C’est plus vivable. Mon mari gagne 1100 euros nets dans la grande distribution. La maison nous coûte 850 euros par mois. Si on ajoute les 50 euros d’école privée pour ma fille, tout mon salaire y passe. On n’a plus de loisirs. La dernière fois que j’ai pris des vacances, c’est il y a neuf ans. Nos seuls loisirs c’est de la bonne nourriture, des artichauts, des tomates, de la bonne viande, surtout pour ma fille.» Elle a renoncé à un autre enfant. La direction, elle, réaffirme une «grande tradition de dialogue social» à La Redoute. «On est à l’écoute de ce genre de témoignage et des situations ponctuelles. Mais il ne faut pas oublier que La Redoute, c’est aussi 5 000 salariés.»
Haydée Sabéran