FOOT - Expédiés au Stade de France de Saint-Denis pour des raisons marketing, les Lillois ont été déstabilisés par l'événement. Et battus 1-0 par Lyon. FOOT - Expédiés au Stade de France de Saint-Denis pour des raisons marketing, les Lillois ont été déstabilisés par l'événement.
Ça nous est tombé dessus d’un seul coup. On a compris le football à la 60e minute du Lille-Lyon (0-1) de samedi ; on écrit «Lille» avant «Lyon» puisque les Nordistes, sensément, «recevaient» le sextuple champion de France au Stade de France de Saint-Denis. Juste après l’heure de jeu, donc, le coach rhodanien Alain Perrin choisissait de sortir sa superstar Karim Benzema (20 ans), et de faire rentrer son autre superstar Hatem Ben Arfa (20 ans aussi). A cet instant, Benzema a fait le job : petit pont, roulette, passe dans le zag (le tout à une vitesse et avec un naturel zidanesque) et but de Fred qui lui doit tout à la 31e minute ; le prodige fait tourner le match là-dessus… et passera le reste du temps à attendre tranquillement que ça se passe, estimant en avoir assez fait.
Donc, l’entraîneur le sort. On comprend tout de suite que Benzema va couper la ligne de touche très, très au large de son Ben Arfa : les deux hommes ne s’aiment pas, hors de question de sacrifier à la traditionnelle tape dans les mains entre remplaçant et remplacé. Soudain, l’attaquant lyonnais bifurque ; comme s’il voulait se rapprocher de son alter ego - cet autre soi-même, puisque ces deux-là, de par le potentiel qu’on leur prête, portent tout le poids du futur du foot français. Flottement. Malaise. Ben Arfa laisse filer son regard dans le lointain, exprès. Benzema a saisi. Il l’aurait bien fait pour la galerie (77 840 spectateurs samedi, record absolu pour un match de Ligue 1) mais bon, va mourir.
Benzema, après le match : «Tout le monde a retenu que je n’ai pas tapé dans la main d’Hatem, mais ça n’a rien à voir avec lui. Je n’étais pas content de sortir, pas content non plus de jouer à un poste [ailier gauche, ndlr] qui n’est pas le mien. C’est pour cela que j’ai voulu aller directement au bout du banc sans voir personne.» Perrin : «Ce n’est pas une nouveauté, l’un et l’autre ont déjà déclaré qu’ils n’étaient pas les meilleurs amis du monde. Je ne sais pas précisément ce qui se passe entre eux. Ecoutez : ça les regarde. Ce n’est pas la première, fois que des joueurs ne s’entendent pas dans la vie. Hatem et Karim font la part des choses. Le positionnement de Karim à gauche ? Aucun souci. J’en ai parlé avec lui, on est raccord.» Il est désormais clair que non, mais c’est bien essayé. Et puis bon, tout ce petit monde apprendra tôt ou tard à faire semblant. Benzema a enfilé un sweat comme on range une arme de grand luxe dans sa housse, les yeux morts. Puis, il a regagné son vestiaire. Sous escorte.
Marketing. Voilà l’image que l’on gardera de ce Lille-Lyon du Stade de France ; un événement pourtant pensé par le service marketing du Lille olympique sporting club (Losc) comme une sorte de coup d’éclat… justifiant après coup l’annonce, le 1er février, de la construction de ce stade fastueux après lequel le club court depuis cinq ans. C’est profondément injuste pour les Lillois. Mais bon, d’une part, ils ont l’habitude. Ensuite, on ne voit pas bien ce que la justice viendrait faire là-dedans.
On est allé en parler aux joueurs nordistes, contraints de «recevoir» à l’extérieur alors qu’ils sont mis en demeure de sauver un club qui pointe à la 15e place de Ligue 1, à 3 points de la Ligue 2. L’international belge Kevin Mirallas : «Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Nous ne sommes que les joueurs. Ce n’est pas nous qui avons décidé de jouer au Stade de France. Je suis professionnel, je joue où l’on me dit de jouer, voilà.» Le capitaine Grégory Tafforeau : «En début de match, j’ai senti l’équipe un peu perdue. On n’avait pas trop de repères visuels. Et les souvenirs de la Ligue des Champions [où Lille évoluait «à domicile» il y a deux ans] sont revenus pour ceux d’entre nous qui avaient eu la chance de la jouer. C’était le danger de ce match-là.»
Obsolète. Et une fin d’après-midi à tout confondre. Il y a un style lillois, sur lequel on ne reviendra pas : ces joueurs qui vouvoient leur interlocuteur en le regardant droit dans les yeux, cette discrétion mêlée de fierté qu’on jurerait aussi obsolète (les temps sont ce qu’ils sont) que les gardiens en chandail, la noblesse de ceux qui s’en remettent au jeu et aux résultats quand Charles Villeneuve, directeur des Sports de TF1, les daube ouvertement en expliquant que les Loscistes ne font pas un rond en prime-time.
On a aimé le Losc pour tout cela, et pour autre chose encore : cette rectitude un peu sèche dans un milieu où, il faut le dire, tous les acteurs - médias, présidents, entraîneurs et joueurs - en rabattent sur le sport pur et se retrouvent mouillés en moins de deux. Entre 2005 et 2007, le Losc a disputé deux Ligues des Champions (victoires à Milan ou devant Manchester United) avec des types dont personne n’avait jamais pensé que ce serait la vocation. A Nancy, à Valenciennes ou ailleurs, on a rencontré des joueurs qui se racontaient cette histoire-là. Elle est exemplaire. Partant, on a eu du mal avec le pince-fesse de samedi.
On n’a pas compris en quoi le fait de voir des joueurs s’échauffer pendant que Louis Bertignac massacre le Won’t Get Fooled Again des Who - «Meet the new boss/Same as the old boss» - au milieu du terrain peut être «festif», pour reprendre la terminologie nordiste. On n’a pas non plus pigé les fumigènes ou les chérubins de Sarcelles. Ni la singulière sortie de Michel Seydoux, le président nordiste, le matin du match dans L’Equipe : «Si les joueurs [lillois] ne sont pas au top pour ce match, c’est une faute professionnelle.»
Décalé. Sauf à parler de corruption (ce qui n’est certes pas dans l’intention de Seydoux), il n’y a jamais de faute professionnelle quand un joueur manque son match. Il ne faut pas se laisser embrouiller. En fait, le Losc nous a joué ce week-end cette 39e journée dont rêvent les clubs anglais de Premier League, une sorte d’exhibition luxueuse délocalisée contre des fortunes au Telstra Stadium de Sydney ou au Hongkong Stadium. Et cette 39e journée, c’est la 25e heure du ballon : on change de planète, à tout le moins d’époque. Samedi, les joueurs ont eu du mal avec ça. Pendant que leur président se réjouissait bruyamment («le kolkhoze a rendu l’âme», dans le texte) du tout-libéral qui prédomine aujourd’hui dans le foot, les Loscistes ont disputé un match sincère, ingrat, appliqué, perdant. Décalé, pour tout dire. Ce fut leur plus beau mérite.
Gregory Schneider
Photo Reuters