TÉLÉVISION - Dunkerquois, Dunkerquoises, lassés de jouer au bouchon place Jean-Bart ? Désœuvrés depuis que l’excellent restaurant le Roi de la moule a brûlé cet été ? Vous ne savez que faire de vos soirées perdues au milieu des dunes ? Amis de la cité corsaire, vous êtes sauvés. Car TF1 et Endemol vous ont concocté une soirée magique : Miss France. Oui, l’élection de celle qui représentera notre grande nation, de par la planète, se déroule ce samedi au Kursaal, le noble palais des congrès de Dunkerque.
Le fauteuil avec vue sur la couronne et le chapeau de la Fontenay et son dîner de gala - Rôti de noix de Saint-Jacques et Saumon et sa Compote de choux à la bière des Trois Monts (1) - inclus ? 160 euros. Une paille pour assister à telle féerie. Amis dunkerquois, vous êtes vernis. Quant aux autres, ce n’est pas parce que vous êtes privés de compote de choux à la bière des Trois Monts qu’il faut, ce samedi à 20 h 50, bouder Miss France. Pourquoi ?
Parce que c’est enfin la démocratie
Le drame a été, l’an passé, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase en cristal de Baccarat : alors que, dans un formidable élan populaire précurseur de la liesse du 6 mai, le public plébiscitait Miss Limousin, aka la sourde Sophie, le jury de vedettes, on le voit totalement coupé des préoccupations des Français, élisait Miss Picardie, aka Rachel l’hypokhâgneuse. Mais fini les scrutins à la Poutine où le vote du jury comptait pour deux tiers : désormais, c’est kif-kif. «Nous avons voulu rétablir ce qui ne nous semblait pas très équilibré», explique Corinne Spak, vice-présidente de la société Miss France. Voilà pour la version light. La punk en chef Geneviève de Fontenay est un peu plus hardcore quant au choix, l’an dernier, effectué par Muriel Robin, Gérard Darmon et Michel Sardou : «Ils avaient dit qu’ils n’étaient pas heureux d’être dans le jury de Miss France, à partir de ce moment-là, ils n’étaient plus crédibles. Si c’est pour mettre des guignols dans le jury, autant revoir la façon dont on vote.» Cette année, parmi les guignols, Patrick Bruel, Christophe Dominici et Dominique Farrugia. Qui ne pourront pas empêcher le référendum populaire à 0,34 centimes d’euro l’appel.
Parce que Geneviève de Fontenay est totalement dégoupillée
Année après année, ça monte. Année après année, la soupape noire et blanche (ou l’inverse, ça change au fil de la soirée) se soulève un peu plus lâchant de furieux jets de vapeur et ce samedi pourrait bien être le grand soir. Celui où Geneviève (oui, on l’appelle par son petit nom, maintenant qu’on s’est parlés) explose à la tête de TF1. En 2006, en plein direct, elle s’en était pris au jury (cf. les Guignols). En 2007, c’est Jean-Pierre Foucault qui pourrait se faire claquer le beignet. Motif de la dispute : elle a menacé de le faire remplacer par Jean-Luc Reichmann au motif que Foucault «ne s’investit pas assez dans le programme». Lequel, chez imédias, l’a méchamment bachée : «Geneviève, elle adorerait faire une émission spéciale avec Frank Michael ! […] Elle aimerait qu’on reste en 1953 !» Piouf, ça y va, les coups de tatane chez Miss France. C’est que Geneviève est entrée en résistance contre l’occupation d’Endemol. En 2002, le producteur de Loft Story ou Star Academy rachetait les Miss France et leur douairière avec. Et, petit à petit, tente d’apposer sa touche glitter sur la cérémonie en forme de gros gâteau à la crème. En 2004, entre la directrice des programmes d’Endemol, Alexia Laroche-Joubert, et Geneviève, ça a été du brutal : à la trappe, l’obligatoire chignon, les robes à crinoline et, outrage, Jean-Pol Plouvier, chorégraphe historique et spécialiste de la bourrée, remplacé par une émule de Kamel Ouali. Surtout, surtout, il y a eu «l’affaire Bikini». Cette grande pornographe d’Alexia voulait en finir avec le maillot de bain une-pièce : un coup, pour Geneviève, à coller sa démission. Le compromis fut subtil : un bikini, oui, mais monokinisé par un anneau sauvant l’honneur. Las, le loup était dans la bergerie ; l’année suivante, il portait bikini et Geneviève s’en désole encore : «Ils étaient trop décolletés et échancrés !» Mais elle n’a pas rendu les armes : «Cette année, il y a plus de tissu. On gagne du terrain !» Hardi, Geneviève !
Parce que c’est d’un glauque super
Et c’est ce remake du combat des anciens en digne une-pièce contre les modernes en dévergondé deux-pièces qui va, ce samedi soir encore, faire tout le sel des Miss France. Parce que l’alliance de l’acmé du tartignole - le comité Miss France - et du pinacle de la putasserie - Endemol - ne peut donner qu’un spectacle ontologiquement télévisuel : un glauque super. Pendant que Geneviève nous aguiche avec «le retour des robes de Sissi», Corinne Spak promet «des tenues d’héroïnes entre Alias et Lara Croft». Là où Corinne Spak annonce «des effets laser, du CO2 et des bikinis sertis de cristaux de Swarovski», Geneviève se plaint du ripolinage de ses ballets folkloriques. «Ce doit être la fête au village, il faut des rondes de Miss avec des paniers avec des poireaux qui dépassent, un petit poussin…» Même pour la musique, il y a schisme. Spak parle de «réorchestrations de morceaux par DJ Abdel» et Fontenay voudrait «En passant par la Lorraine ou la Compagnie créole pour les Miss des îles. Et là, ils ont mis Poupée de cire poupée de son !… N’importe quoi ! Ça n’a rien à voir !» Pas facile, la vie de Geneviève qui refuse «les mannequins anorexiques qui marchent comme des zombies». Mais il y a une chose qu’on ne lui enlèvera pas : «Dunkerque, c’est mon idée.» On s’en doutait un peu.
Parce que c’est hot
Des mauvaises langues s’ingénient à faire courir la rumeur : les Miss France seraient un peu con-cons. Eh bien, pas du tout, et ce, depuis Muguette Fabris, Miss France 1963 et prof de maths. Ça reste la règle d’airain de Geneviève : «Je préfère qu’elles aient la tête plus pleine que le soutien-gorge.» Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter la liste des livres de chevet des trente-six Miss : du Paulo Coelho, beaucoup, du Marc Levy, en quantité. Mais certaines font leurs intéressantes : Miss Aquitaine qui goûte les Histoires extraordinaires de Pierre Bellemare ou Miss Corse et son ABC de la graphologie.Quant à Miss Artois-Hainaut, elle plombe l’ambiance de comice agricole avec Si c’est un homme de Primo Levi. Las, elle n’est pas favorite, les journaux n’ayant qu’une candidate à la bouche : Miss Côte-d’Azur, Azemina Hot. Qui doit ce sulfureux patronyme à ses origines monténégrines et non aux photos légères qui circulent sur le Web. Mais à Libération, on vote Miss Champagne-Ardennes. Non par corporatisme - la donzelle est étudiante en journalisme - mais parce que Deborah Lopez est parfaite pour le rôle. Selon l’informé Télé 7 jours, elle s’est brûlé l’épaule avec un fer à friser, a fait une allergie à ses lentilles de contact et s’est coincée un doigt dans l’anse d’une tasse à café. Avec la couronne qui se casse invariablement la gueule, Deborah sera parfaite.
Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts
(1) Ça, c’est pour l’entrée. Ensuite, a confié à Libération l’office de tourisme, il y a : Caille farcie d’une duxelle de champignons et foie gras sauce en infusion de genièvre accompagnés d’une brochette de légumes glacés, Fromage de Bergues et Pavé aux algues et, en dessert, de la Brioche façon pain perdu, glace au miel de Flandres et filet de caramel. Blurp !